La ville belge de Charleroi a inauguré jeudi une rue Patrice Lumumba en présence d’un des fils de ce héros de l’indépendance de l’ex-Congo belge, éphémère Premier ministre assassiné en 1961 et qui aurait eu 95 ans ce 2 juillet. « Cela met du baume au cœur, c’est la reconnaissance du combat de notre père », a déclaré Guy-Patrice Lumumba, joint au téléphone par l’AFP peu avant la cérémonie. Deux ans après celle d’un square Lumumba à Bruxelles, l’inauguration de cette rue, dans la troisième plus grande ville de Belgique, intervient en plein débat sur le passé colonial belge, dans le sillage de la mobilisation antiraciste ayant suivi la mort de George Floyd fin mai aux Etats-Unis.
Dans une lettre adressée au président de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi, le roi des Belges Philippe a présenté mardi « ses plus profonds regrets pour les blessures » infligées aux Congolais lors de la période coloniale (1885-1960), une première historique.
Selon Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi et président du Parti socialiste, première force politique en Belgique francophone, ces regrets ont ouvert la voie à « des excuses officielles » du gouvernement belge.
« Il faut pouvoir rappeler aussi les crimes qui ont été accomplis, les dénoncer et présenter des excuses pour ça », a dit jeudi à l’AFP M. Magnette.
Le numéro un du PS a salué en Patrice Lumumba « une personnalité exemplaire, un militant de la lutte contre le racisme ». La décision de changer un nom de rue pour lui avait été prise en décembre 2017 à Charleroi.
En 2002, la Belgique, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Louis Michel, avait présenté ses « excuses » pour la « part de responsabilité irréfutable » de certains membres du gouvernement belge dans son assassinat.
Intellectuel patriote devenu Premier ministre du Congo indépendant en juin 1960, renversé trois mois plus tard, Lumumba avait été assassiné le 17 janvier 1961 dans la province du Katanga, avec la complicité présumée de la CIA et du MI6 britannique.
Il était perçu comme prosoviétique par les Américains, et avait été désavoué par les milieux d’affaires belges qui voyaient en lui une menace.
Jeudi son fils Guy-Patrice a rappelé qu’une plainte déposée par la famille en 2011 à Bruxelles pour faire la lumière sur l’assassinat était toujours au stade de l’instruction.
« La Belgique traîne vraiment pour qu’il y ait ce procès », a-t-il déploré, fustigeant aussi « le silence de la justice » belge sur les « ossements » de son père dont il réclame la restitution depuis deux ans.
Le chef du parquet fédéral belge Frédéric Van Leeuw a reconnu que le dossier judiciaire – une enquête pour « crime de guerre » – comportait « une dent de Patrice Lumumba ». Celle-ci a été saisie dans la famille d’un policier belge ayant contribué à faire disparaître son corps (jamais retrouvé) il y a 59 ans.
APRÈS 60 ANS : LA RDC A ÉCHOUÉE
« Nous avons collectivement failli »: la République démocratique du Congo a d’abord tiré un bilan sévère des 60 ans de son indépendance, avant même d’envisager des « réparations » à la Belgique, qui lui a présenté des « regrets » historiques pour son passé colonial au Congo.
« Après 60 ans d’indépendance, le constat est sans appel: nous avons honteusement échoué. Nous n’avons pas été capables de faire du Congo un pays plus beau qu’avant (…). En tout, nous avons collectivement failli », a lancé l’archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo, figure de proue de l’Eglise catholique critique envers les pouvoirs.
« L’Evangile nous invite à la responsabilité », a-t-il ajouté dans son homélie à l’occasion de l’indépendance du 30 juin, en dénonçant « la succession de régimes autocratiques », « la culture de l’impunité pour les grands », l’appauvrissement des Congolais.
« En soixante années, nous avons progressivement laissé notre classe politique se transformer en une sorte de mafia », avait estimé le président Félix Tshisekedi, lors de sa longue allocution télévisée à la veille du 30 juin.
« Le Congolais moyen a perdu 60% de sa richesse au cours des 60 dernières années (…). Notre réseau routier ne représente plus que 10% de ce qu’il était en 1960 et le réseau ferroviaire, 20% », a-t-il détaillé, en pointant aussi « le jeu malsain des convoitises extérieures ».
Le fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi a dénoncé « une classe politique qui (…) peine à arracher la Nation du cercle vicieux de l’instabilité et de la pauvreté ».
« Blessures »
« Les régimes et les dirigeants successifs se sont avérés être des nouveaux prédateurs », accusent des activistes pro-démocratie qui ont publié à l’occasion du 30 juin un « Manifeste pour un nouveau Congo ».
Ils pointent aussi la complicité « des forces néo-colonialistes et impérialistes » dans l’accaparement des richesses minérales du pays.
A Bruxelles, le roi des Belges a présenté mardi « ses plus profonds regrets pour les blessures » infligées, lors de la période coloniale, à l’ex-Congo belge, une première historique, sur fond de la vague d’émotion qui a suivi la mort de l’Afro-américain George Floyd.
Son ancêtre, Léopold II, a régné personnellement sur le Congo de 1885 à 1908, avant de céder le territoire à la Belgique. Des sociétés concessionnaires ont contraint la population au travail forcé, notamment pour extraire le caoutchouc. Des exactions – jusqu’aux mains coupées pour les travailleurs insuffisamment productifs – ont été documentées.
Dans son allocution lundi soir, le président congolais avait rendu hommage au souverain belge « qui, tout comme moi, cherche à renforcer les liens entre nos deux pays sans renier notre passé commun ».
M. Tshisekedi avait rappelé qu’il considérait la Belgique où il a vécu en exil, comme son « autre Congo », dans cette allocution prononcée avant la publication de la lettre du roi des Belges.
Le président reprenait le même ton apaisant envers Bruxelles qu’il a déjà eu sur le dossier de la restitution du patrimoine congolais (masques et statues) pillé pendant la colonisation.
« Baume sur le coeur »
« Il faut reconnaître que les Belges nous ont aidés à le conserver », avait-il déclaré à la presse en novembre lors de l’inauguration du Musée national de la RDC à Kinshasa.
Sa ministre des Affaires étrangères, Marie Ntumba Nzeza, a qualifié la déclaration du roi des Belges de « baume sur le cœur du peuple congolais ».
« C’est une avancée qui va booster les relations amicales entre nos deux nations » a-t-elle ajouté. « Nos deux peuples ont grand besoin d’une décrispation sincère et définitive pour permettre au Congo de poursuivre durablement sa croissance et son développement ».
Le mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha) a rappelé sur Twitter que la RDC attendait aussi « des excuses officielles et des actes concrets pour restituer autant que possible le patrimoine accaparé, effectuer des réparations matérielles et/ou symboliques, et enseigner fidèlement cette histoire aux nouvelles générations ».
« Il ne suffit pas de dire +je regrette+. Encore faut-il être prêt à réparer les préjudices en termes d’investissements ainsi que des dommages et intérêts. C’est ce que nous attendons de nos partenaires belges », a confirmé Lambert Mende, porte-parole de l’ex-président Joseph Kabila, sollicité par l’AFP.
Floribert Anzuluni, du mouvement Filimbi, pense qu’il existe toujours chez les Congolais « une certaine rancœur » envers les « nokos » (oncles en lingala) belges « par rapport à la colonisation, par rapport à Léopold II ».
Mais quand les Congolais cherchent un bouc-émissaire étranger à leurs problèmes, ils ne se tournent pas en priorité vers la Belgique. C’est le Rwanda qu’une partie de l’opinion congolaise accuse régulièrement d’entretenir l’instabilité dans l’Est du pays pour « balkaniser » l’immense RDC.
(avec Afp)