Miraculé de la droite modérée propulsé sans notoriété ni expérience à Matignon, Edouard Philippe y a imposé sa marque sobre au fil des crises, agaçant les uns ou rassurant les autres par son profil de gestionnaire, devenu avec le temps cardinal dans la majorité.
Nommé le 15 mai 2017 Premier ministre d’un président qu’il n’avait rencontré que « trois fois avant le premier tour » de l’élection, M. Philippe, alors âgé de 46 ans, avait décrit avec humour la « peur panique » qui s’était emparée de lui les jours précédant son arrivée à la tête du gouvernement, lui qui n’avait jamais exercé de responsabilité de premier plan.
Tout juste les Français avaient-ils peut-être aperçu la silhouette longiligne du maire du Havre parcourir les plateaux télé en soutien acharné de son mentor Alain Juppé lors de la primaire de la droite en 2016.
En ce début d’été 2020, c’est en Premier ministre populaire qu’il quitte Matignon, nimbé de ce que son successeur Jean Castex a décrit, lors de la passation de pouvoir vendredi, comme un « style Edouard Philippe » incluant, entre autres, « l’élégance dans tous les sens de ce terme ».
Retour en arrière: alors qu’il était décidé à ne pas se représenter comme député en 2017 après avoir vu sa famille politique imploser dans l’affaire Fillon, il est extrait des décombres de la droite par un Emmanuel Macron à peine élu, et désireux d’envoyer un signal au centre-droit après avoir siphonné la social-démocratie.
De ce pari osé, M. Philippe affirmera tirer une inébranlable loyauté et revendiquera une lecture sage de la répartition des tâches au sommet du couple exécutif.
Entouré d’une garde rapprochée juppéiste, il sera un « chef d’orchestre » chargé de faire « jouer ensemble » ses ministres.
Dans l’ombre d’une présidence jupitérienne, il reconnaît au début qu’il est « difficile de se faire un nom quand on a deux prénoms ». Et puis, « Edouard n’est pas quelqu’un qui s’épanche », glisse un ami, observant que rien ne fuite jamais de ses entrevues avec M. Macron.
« Libéral assumé »
Cet arrière-petit-fils de docker et fils d’enseignants, qui « aime l’Etat presque comme on aime un objet » (dixit un proche) et s’empiffre de bonbons à la première occasion, se dévoilera par touches, glissant ici une référence à Bob Dylan et là à Léonard Cohen, citant Alexandre Dumas, des vers de Cyrano de Bergerac (« On n’abdique pas l’honneur d’être une cible ») ou devisant avec Jean-Luc Mélenchon de la « virtus » romaine.
« Edouard Philippe est un homme élégant, d’un côtoiement agréable, un libéral assumé et qui le dit clairement », complimente le leader des Insoumis, qui, il y a bien longtemps, avait accueilli dans son bureau de sénateur M. Philippe pour ses révisions de l’ENA.
Cette constance sera autant sa force que sa faiblesse. « Edouard Philippe est quelqu’un de droit, qui dit les choses », convient ainsi un leader syndical, avant de fustiger son « obsession budgétaire ».
« Trop raide », « trop techno », voire « arrogant »… Ces critiques colleront à la peau du conseiller d’Etat, avivées par certaines décisions contestées. A commencer par le maintien de la taxe carbone à l’automne 2018, qui précipitera la crise des gilets jaunes.
Cet amateur de boxe, aux pointes d’ironie cinglantes, encaissera sans broncher les coups autour de sa première mesure-phare (limiter la vitesse sur certaines routes à 80 km/h), puis lors de démissions fracassantes au sein de son gouvernement (Nicolas Hulot, Gérard Collomb).
Il appliquera aussi soigneusement un programme présidentiel qu’il n’avait pas conçu. Réforme du code du Travail, de l’impôt sur la fortune, de la SNCF, évacuation de Notre-Dame-des-Landes jusqu’à la refonte bon an mal an du système des retraites, suspendue par l’épidémie de coronavirus.
« Rassurant »
Mis parfois publiquement sous pression par Emmanuel Macron, M. Philippe s’exécute. Et voit au final sa cote de popularité s’envoler pour sa mise en oeuvre du déconfinement.
« Les gens ont eu envie de ce côté plus gestionnaire, plus rassurant », analyse un ministre.
Mais c’est aussi durant cette crise que les bruits de friction entre MM. Macron et Philippe se sont intensifiés, entretenus par des entourages agacés de l’influence croissante du Premier ministre.
Car Edouard Philippe, qui a toujours refusé d’adhérer à La République en marche, s’est affirmé comme une pièce centrale de la majorité, capable d’ancrer sur son nom un électorat de droite devenu au fil du temps crucial, comme en témoignent les Européennes de 2019.
Renforcé par son succès aux municipales au Havre, quand LREM subissait ailleurs une lourde défaite, M. Philippe était-il soudainement devenu trop encombrant ? Accusé d’assécher la radicalité réformatrice de M. Macron, empêchait-il le président de se « réinventer », comme le susurrent ses détracteurs ? Et puis comment incarner un virage écologiste avec cet ancien lobbyiste d’Areva ?
Avec Emmanuel Macron, « ils ont des différences d’histoires, d’identités, parfois politiques », convient un proche de M. Philippe. « Aujourd’hui on ne voit que ça: les gens disent que cette différence est source de rupture. Mais pendant trois ans cette différence a été plutôt source de complémentarité », souligne-t-il, amer.
MACRON-PHILIPPE, L’ENTENTE A DURÉ TROIS ANS
Il n’y avait entre eux « pas l’épaisseur d’un papier à cigarettes ». Pourtant le couple Macron-Philippe se sépare à l’amiable après trois ans, sur fond d’usure et de divergences croissantes.
Ce dauphin d’Alain Juppé avait été « le » choix surprise du chef de l’Etat au premier jour du quinquennat. Une spectaculaire « prise de guerre » à droite pour le jeune président et un pari audacieux pour séduire les électeurs du centre-droit sans décourager ceux de gauche.
Dès son arrivée, Edouard Philippe manifeste son indépendance en refusant de se laisser imposer un directeur de cabinet choisi par le chef de l’Etat – Nicolas Revel, qui va devenir celui de son successeur, Jean Castex – et choisit un de ses proches, Benoît Ribadeau-Dumas. Il refuse aussi de s’encarter chez LREM.
Mais il applique fidèlement un programme qui, dit-il, n’est pas loin des idées d’Alain Juppé. Les réformes menées tambour battant durant la première année du quinquennat par un président omniprésent se passent sans accroc.
« Je suis un homme venu de la droite, et alors ? Je suis très à l’aise avec l’équilibre de ce que nous portons », déclare-t-il en mars 2018. Quelques semaines plus tôt, il a convaincu le président de soutenir une mesure qui lui est chère, la limitation de vitesse à 80 km/h sur routes. Emmanuel Macron pense pouvoir se permettre cette mesure très impopulaire.
Sauf que le chef de l’Etat est affaibli à l’été 2018 par l’affaire Benalla. Dans ce contexte, le remaniement d’octobre 2018 fait apparaître pour la première fois des divergences et un rééquilibrage avec Matignon. L’Elysée reconnaît que chacun a mis son veto à des choix de l’autre.
Ainsi Emmanuel Macron refuse pour le ministère de l’Intérieur un tandem composé de l’ex-LR Gérald Darmanin et du LR Frédéric Péchenard et choisit un de ses fidèles, Christophe Castaner.
Dans les mois suivant, c’est la crise des « gilets jaunes » qui paralyse l’action du chef de l’Etat. Ce dernier impose en décembre à un Edouard Philippe défenseur de la rigueur de lâcher 10 milliards d’euros pour apaiser la colère sociale, ainsi qu’un assouplissement des 80 km/h.
« Raideur »
Emmanuel Macron décide aussi, seul, de mener un « grand débat » pour créer un dialogue direct avec les Français. Le G7 de Biarritz renforce sa prééminence dans le couple exécutif.
Mais à la rentrée 2019, sa cote de popularité rechute et le chef de l’Etat se met en retrait pour la négociation de la réforme des retraites, très contestée. Il laisse son Premier ministre aux manettes et cède sur l’intégration d’un âge pivot à 64 ans, à la colère de l’aile gauche de sa majorité. Le pays s’enlise dans un long conflit social.
Les décisions importantes sont désormais prises par un quatuor mi-Elysée, mi-Matignon : Edouard Philippe et Benoit Ribadeau-Dumas, Emmanuel Macron et son secrétaire général, Alexis Kohler, qui connaît Edouard Philippe depuis l’ENA.
Au point qu’une partie de l’entourage du président prend en grippe le puissant directeur de cabinet de Matignon et estime que le chef de l’Etat est souvent mis en minorité dans les arbitrages.
Dans la Macronie, on accuse Edouard Philippe de faire pencher à droite le quinquennat, de freiner le chef de l’Etat et, par sa supposée « raideur juppéiste », d’être responsable des interminables grèves des transports.
La crise du Covid-19 change la donne. Le président reprend la main en annonçant le confinement et en choisissant de déconfiner le 11 mai, alors que son Premier ministre penchait pour une date plus tardive.
Mais il laisse Edouard Philippe annoncer les principales mesures pratiques. Le style pragmatique du Premier ministre, sa franchise à avouer « je ne sais pas » devant les inconnues sanitaires plaisent à l’opinion. Sa cote de popularité s’envole quand celle d’Emmanuel Macron s’effrite, ce qui agace à l’Elysée.
Quand, en avril, le chef de l’Etat annonce vouloir « se réinventer » et suspend la réforme des retraites, le sort d’Edouard Philippe semble compromis. Difficile de se réinventer avec la même équipe.
Pourtant, les deux hommes se quitteront en bons termes. Par confiance ou par prudence, Emmanuel Macron le garde dans son orbite en lui confiant la mission de « consolider sa majorité ». Donc de l’aider pour la suite du quinquennat et pour 2022.
Vendredi soir, au moment de transmettre ses pouvoirs à son successeur Jean Castex, Edouard Philippe a pris soin de remercier celui avec qui il a travaillé pendant trois ans « dans des conditions de confiance et de fluidité qui resteront toute [sa] comme trois années assez exceptionnelles ».
EDOUARD PHILIPPE VISÉ PAR UNE ENQUÊTE JUDICIAIRE SUR LA GESTION DE L’ÉPIDÉMIE
Des investigations vont être menées sur la gestion de la crise du Covid-19 par les ex-ministres Edouard Philippe, Olivier Véran et Agnès Buzyn, avec l’ouverture d’une information judiciaire à la Cour de justice de la République (CJR).
Depuis le début de l’épidémie qui a fait près de 30.000 morts en France, l’exécutif fait face à un flot de critiques notamment sur la pénurie de masques et a été visé par de nombreuses plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui » ou « homicide involontaire ».
Après examen, la commission des requêtes de la CJR, composée de hauts magistrats et qui fait office de filtre, a estimé que neuf d’entre elles étaient recevables, a annoncé vendredi le procureur général près la Cour de cassation François Molins dans un communiqué.
Aux termes de la procédure, ce dernier est désormais tenu de saisir la commission d’instruction de la CJR, qui agira comme un juge d’instruction.
Cette annonce intervient le jour même de la démission du gouvernement dirigé par Edouard Philippe et dans lequel Olivier Véran occupait le portefeuille de la Santé. Sa prédécesseure à ce poste, Agnès Buzyn, avait quitté le gouvernement mi-février pour briguer la mairie de Paris.
Les neuf plaintes qui les visent ont été jointes en vue de la saisine de la commission d’instruction du seul chef d' »abstention de combattre un sinistre ».
Dans un communiqué transmis à l’AFP, Edouard Philippe « prend acte » de cette décision et affirme qu’il apportera à la commission « toutes les réponses et informations nécessaires à la compréhension de son action et celle de son gouvernement ».
Au total, 90 plaintes ont été reçues à ce jour par la CJR, seule instance habilitée à juger les membres du gouvernement pour les actions menées dans l’exercice de leur fonction, et 53 d’entre elles ont été examinées.
Parmi elles, 34 ont été déclarées irrecevables car elles ne visaient pas un membre du gouvernement ou car le plaignant n’avait pas d’intérêt à agir. Dix autres, notamment contre les ex-ministres Nicole Belloubet (Justice), Jean-Yves Le Drian (Affaires étrangères) ou encore Christophe Castaner (Intérieur), ont été classées sans suite.
Vaste enquête au parquet de Paris
Les plaintes à la CJR avaient commencé à être déposées quelques jours après le début du confinement mi-mars. Elles émanent de particuliers, de médecins, d’associations, ou encore de détenus.
Le chef de l’État, Emmanuel Macron, est lui irresponsable pénalement des actes réalisés dans l’exercice de ses fonctions.
Les plaignants dénonçaient, selon les cas, des faits de « mise en danger de la vie d’autrui », « homicide involontaire », « non-assistance à personne en danger » ou abstention de prendre à temps des mesures pour endiguer la pandémie.
En parallèle, d’autres plaintes ont aussi été déposées, ciblant parfois nommément des responsables de l’administration, comme le directeur général de la Santé Jérôme Salomon, en première ligne durant la crise, ou encore Santé Publique France.
Le parquet de Paris avait apporté une première réponse judiciaire en ouvrant début juin une vaste enquête préliminaire.
Cette « enquête-chapeau » regroupe 13 procédures consacrées aux plaintes d’associations ou d’organisations syndicales et une quatorzième englobant 33 plaintes, pour leur grande majorité de particuliers, issues du site internet plaintecovid.fr.
Elle est ouverte pour « homicides involontaires », « blessures involontaires », « mise en danger de la vie d’autrui », « abstention volontaire de combattre un sinistre », « non-assistance à personne en péril ».
Le procureur de Paris avait anticipé auprès de l’AFP un travail « considérable », dans une « situation historique »: « C’est la première fois que des plaintes sont déposées alors que la crise bat son plein », avait-il relevé, alors que jusque-là « dans les grandes affaires de santé publique (sang contaminé, amiante…), la justice est intervenue bien a posteriori ».
Deux avocats ont rapidement annoncé fin juin le dépôt de plaintes avec constitution de partie civile afin d’obtenir la désignation de juges d’instruction pour enquêter.
« On n’entend plus parler » de l’enquête du parquet de Paris, s’était justifié Me Fabrice Di Vizio, qui représente un collectif de médecins appelé C19.
PHILIPPE « APPORTERA TOUTES LES RÉPONSES NÉCESSAIRES »
Le Premier ministre sortant Edouard Philippe a « pris acte » vendredi de l’annonce d’une prochaine enquête sur sa gestion de la crise du Covid-19, et y apportera « toutes les réponses nécessaires », a-t-il indiqué dans un communiqué à l’AFP.
La Commission des requêtes de la Cour de justice de la république (CJR) a rendu un avis favorable à la saisine de la commission d’instruction de la CJR concernant Edouard Philippe, Olivier Véran et Agnès Buzyn pour des faits d’abstention volontaire de combattre un sinistre, a annoncé un peu plus tôt le procureur général près la Cour de cassation François Molins.
Edouard Philippe « prend acte » de cette décision et « apportera à la commission d’instruction toutes les réponses et informations nécessaires à la compréhension de son action et celle de son gouvernement face à la crise sanitaire mondiale sans précédent qu’a connue notre pays », a-t-il indiqué.
Au total, 90 plaintes concernant la gestion de l’épidémie ont été reçues à ce jour par la CJR, seule instance habilitée à juger les membres du gouvernement pour les actions menées dans l’exercice de leur fonction, et 53 d’entre elles ont été examinées.
La commission des requêtes de la CJR, composée de hauts magistrats et qui fait office de filtre, a estimé que neuf d’entre elles étaient recevables, selon M. Molins.
Les plaintes à la CJR avaient commencé à être déposées quelques jours après le début du confinement mi-mars. Elles émanent de particuliers, de médecins, d’associations, ou encore de détenus.
Cette annonce intervient le jour même de la démission du gouvernement dirigé par Edouard Philippe et dans lequel Olivier Véran occupait le portefeuille de la Santé. Sa prédécesseure à ce poste, Agnès Buzyn, avait quitté le gouvernement mi-février pour briguer la mairie de Paris.
(avec Afp)