Si la nécessité du plan de restructuration annoncé par Airbus est admise, gouvernements et syndicats dénoncent son ampleur et la perspective de départs contraints, mettant en avant les mesures de soutien dont bénéficie l’avionneur pour « sauver » un maximum d’emplois.
Le « plan d’adaptation au Covid-19 » annoncé mardi soir par le groupe aux 135.000 salariés prévoit la suppression de 15.000 postes dans le monde d’ici l’été 2021.
En France, où le groupe compte 49.000 salariés, la perspective de voir 5.000 postes supprimés a choqué. Fleuron industriel et symbole de la coopération européenne, Airbus, qui a son siège à Toulouse, est aussi une fierté nationale.
« Excessif », a taclé le ministère de l’Économie et des Finances. « Airbus recourt trop vite à la solution radicale d’un plan social massif », selon le syndicat CFE-CGC qui rappelle que « les aides publiques ne sont pas là pour financer des licenciements ».
En Allemagne, où le groupe compte 45.500 salariés et prévoit 5.100 suppressions de postes, le plan fait aussi grincer les dents.
Le puissant syndicat IG Metall, qui appelle Airbus à renoncer aux licenciements secs, redoute une « catastrophe » sociale qui doit inciter « les politiques à trouver des solutions pour le secteur ».
« Nous partons bien sûr du principe que la restructuration sera menée de manière à ce qu’aucun pays ne soit privilégié ou désavantagé », a pour sa part déclaré le ministre de l’Économie Peter Altmaier, des propos apparaissant comme une critique voilée des annonces de la veille.
Les États français et allemand sont chacun actionnaire à hauteur de 11% du géant européen, l’État espagnol détenant pour sa part 4% du capital.
Au Royaume-Uni, où 1.700 postes sont supprimés, le syndicat Unite s’en prend lui au gouvernement de Boris Johnson qui « observe de loin la destruction d’un bien national » quand Paris et Berlin eux agissent « pour protéger le secteur ».
Avec des compagnies aériennes financièrement exsangues, l’avionneur a vu disparaître 40% de son activité. « Il faudra très probablement beaucoup de temps pour remonter, nous devons donc prendre des mesures décisives maintenant », a plaidé son président exécutif Guillaume Faury.
« Mode survie »
« Je ne m’attends pas à beaucoup de soutien dans ce type de situation même si nous travaillons étroitement » avec les gouvernements, a-t-il dit à la presse.
Airbus compte sur des départs en retraite anticipés, des départs volontaires et mais aussi sur la conclusion avec les syndicats d’accords de modération salariale pour limiter les licenciements.
Le secrétaire d’État aux Transports français, Jean-Baptiste Djebbari, qui « a fait les calculs cette nuit », a assuré mercredi que l’avionneur était en mesure de « sauver » 2.000 emplois en France grâce au dispositif de chômage partiel que le parlement est en passe de voter et aux mesures de soutien à la recherche-développement en faveur d’une « nouvelle génération d’avions verts ».
En fonction de ses modalités, le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) pourrait permettre de préserver « jusqu’à 1.000 emplois » en France, a affirmé Guillaume Faury à l’AFP. « On a une idée assez spécifique, elle est connue du gouvernement, on compte dessus », a-t-il assuré.
Par ailleurs, près de 500 emplois supplémentaires pourraient également être préservés en France selon Airbus grâce au 1,5 milliard d’euros de soutien à l’innovation, un des volets du plan de 15 milliards d’euros adopté par Paris en soutien au secteur aéronautique.
En Allemagne, « le dispositif de +Kurzarbeit+ (activité partielle) devrait nous permettre (…) d’aller jusqu’à 1.500 » emplois préservés, selon M. Faury.
Berlin a également adopté un plan de subventions d’un milliard d’euros pour favoriser la construction d’avions moins polluants, a rappelé Peter Altmaier. Une enveloppe dont Airbus peut demander à profiter et qui peut contribuer à « surmonter les difficultés actuelles » dans le secteur.
Avec la crise provoquée par le coronavirus, les secteurs aéronautiques et du transport aérien ont engagé de profondes restructurations dans le monde entier.
Airbus, et toute la filière de sous-traitants avec lui, considère lui qu’il est en « mode survie » face à une « crise d’une gravité incroyable », selon les propos de M. Faury.
« On essaie de regarder les choses comme elles sont », a-t-il confié à l’AFP. « On pense qu’on n’est pas forcément les plus mal placés pour avoir la vision de ce qui nous attend ».
UNE NOUVELLE « DÉVASTATRICE »
L’annonce de 15.000 suppressions d’emplois chez Airbus, dont 1.700 prévues au Royaume-Uni, a été qualifiée de nouvelle « dévastatrice » par les syndicats, politiciens ou organisations sectorielles du pays, et les appels à l’aide de Downing Street se font de plus en plus pressants.
Ken Skates, ministre de l’économie du Pays de Galles, où se trouve l’une des principales usines du constructeur au Royaume-Uni, a déploré mardi soir une « nouvelle dévastatrice », jugeant que l’aéronautique était un élément « clé » de l’économie galloise.
Une réunion mercredi au Parlement gallois de Cardiff abordera cette question. Airbus emploie 13.500 personnes au Royaume-Uni, soit 10% de ses effectifs mondiaux, sur 25 sites dont celui de Broughton au pays de Galles.
« Le secteur est en crise et le gouvernement britannique doit prendre des mesures rapides et décisives tout de suite pour sauver ce secteur et sa chaîne d’approvisionnement » avant « que la crise n’empire », a insisté M. Skates, résumant le sentiment partagé à travers cette industrie au Royaume-Uni.
Les compagnies aériennes britanniques British Airways, Easyjet et Virgin Atlantic, l’irlandaise Ryanair ainsi que le motoriste aéronautique Rolls-Royce ont également annoncé des milliers de licenciements et une étude récente prévoit 70.000 pertes d’emplois directs et indirects dans les trois prochains mois dans le secteur.
Le groupe SSP qui possède des restaurants « fast food » dans les gares et les aéroports vient ainsi d’annoncer jusqu’à 5.000 suppressions de postes projetées à cause de l’effondrement du trafic passagers.
Paul Everitt, directeur de l’association sectorielle ADS, appelle lui aussi le gouvernement à « des mesures urgentes » notamment « des investissements dans l’innovation au Royaume-Uni, des aides pour recapitaliser la chaine d’approvisionnement et soutenir des emplois industriels à forte valeur ajoutée ».
Le syndicat Unite a pour sa part fustigé « un nouvel acte de vandalisme industriel », accusant le gouvernement du conservateur Boris Johnson de « regarder depuis le banc de touche pendant qu’un actif national est détruit » et rappelant que la France et l’Allemagne sont intervenues pour aider leurs compagnies nationales ou limiter la casse chez Airbus.
Le parti d’opposition travailliste appelle de son côté à une extension des aides à l’emploi pour les industries les plus sinistrées par le Covid-19, dont l’aérien et l’aéronautique.
Le gouvernement britannique ne semble pour le moment pas infléchir sa position. « Nous voyons l’un des impacts très malheureux de la pandémie, l’un d’entre eux portant évidemment sur le secteur des transports, sur l’aérien », a commenté mercredi le ministre britannique des Entreprises Alok Sharma sur la BBC.
Il promet toutefois que le gouvernement va continuer « à apporter un soutien à l’économie » comme il le fait déjà à travers des prêts garantis ou du chômage partiel.
De son côté, Howard Wheeldon, analyste aéronautique, estime dans une note que « face à la crise la plus sérieuse de l’histoire de l’aviation (…) la direction d’Airbus avait peu d’autres choix que de prendre toutes les mesures possibles pour protéger l’entreprise pour traverser ce qui s’annonce comme trois à cinq années très difficiles ».
L’ALLEMAGNE DEMANDE À NE PAS ÊTRE DÉSAVANTAGÉE
Le gouvernement d’Angela Merkel a demandé mercredi qu’aucun des pays impliqués dans Airbus ne soit « désavantagé » dans les 15.000 suppressions de postes prévues, qui doivent particulièrement affecter les sites en Allemagne.
« Nous partons bien sûr du principe que la restructuration sera menée de manière à ce qu’aucun pays ne soit privilégié ou désavantagé », a déclaré à la presse le ministre de l’Economie Peter Altmaier.
« Airbus est une entreprise européenne avec des sites dans de nombreux pays », a-t-il ajouté.
Ses propos sont apparus comme une critique voilée visant les annonces faites la veille par l’avionneur européen.
LES OPPOSITIONS DÉNONCENT LES SUPPRESSIONS DE POSTES
Les oppositions politiques sont montées au créneau mercredi pour dénoncer les milliers de suppressions de postes déjà annoncées chez Airbus ou qui le seront prochainement chez Air France, certains demandant même au gouvernement de les empêcher.
Interdire les licenciements chez Airbus, « ça n’est pas du tout irréaliste, c’est vos impôts qui financent des licenciements, vous trouvez ça logique? », s’est indigné le secrétaire national d’EELV Julien Bayou sur France Inter.
Selon lui, « l’enjeu, c’est pas de sauver les actionnaires mais de sauver les emplois, et un État stratège, c’est celui qui prépare ces filières à la transition écologique ».
« On profite de la situation très ponctuelle pour +dégraisser+ et j’espère que l’Etat aura plus que son mot à dire pour dire +non+. Un plan social d’une telle importance c’est une saignée énorme, c’est scandaleux », a déploré sur Public Sénat le chef de file des sénateurs socialistes Patrick Kanner.
« Je crois que c’est excessif, disproportionné et quelque peu précipité », a réagi à propos d’Airbus le patron des députés LR Damien Abad sur Cnews, en insistant sur la nécessité de ne pas « crisper le dialogue social ».
Le plan est « inacceptable en l’état », a renchéri la présidente LR de la région des Pays de la Loire Christelle Morançais, dénonçant « un coup de massue » pour la région « qui est le 2e bassin d’emplois du groupe (6.500 salariés) ».
Airbus a annoncé mardi la suppression d’environ 15.000 postes, soit 11% de ses effectifs, dont le tiers en France, et n’exclut pas des licenciements secs pour faire face à la « crise sans précédent » subie par le secteur du transport aérien terrassé par le Covid-19, un plan aussitôt jugé « excessif » par le gouvernement français.
Les dispositifs d’aide de l’Etat devraient permettre de « sauver » 2.000 emplois, sur les 5.000 postes qu’Airbus entend supprimer en France, a précisé mercredi le secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari.
« 5000 suppressions de postes chez Airbus mais le ministre des Transports ne lèvera pas le petit doigt. Pour LREM, la capacité de régulation de l’État se limite à des « appels » non contraignants : chers grands patrons, soyez sympas, ne licenciez pas trop. On voit le résultat… », a ironisé sur Twitter l’eurodéputée LFI Manon Aubry.
Le groupe Air France compte supprimer plus de 7.500 postes d’ici fin 2022 dans le cadre de sa nouvelle stratégie, dont environ 6.500 au sein de la compagnie tricolore et plus de 1.000 au sein de la compagnie régionale Hop!, a appris mardi l’AFP de sources syndicales.
La direction doit présenter vendredi aux organisations syndicales les conséquences sur l’emploi de son « plan de reconstruction », qui prévoit une coupe franche dans les liaisons intérieures.
« C’est un acte de faiblesse du gouvernement qui aurait dû faire beaucoup plus et exiger que l’emploi soit maintenu en contrepartie (des) aides publiques importantes » apportées à Air France, a déclaré sur Europe 1 le vice-président du RN Jordan Bardella.
La crise sanitaire et économique « ne doit pas servir de prétexte à certains grands groupes pour tailler dans leurs effectifs et appliquer des plans prévus de longue date en profitant de l’effet d’aubaine », estime aussi le dirigeant d’extrême droite.
« Intolérable, inadmissible d’avoir une cascade de plans sociaux qui tombent chaque jour alors que le gouvernement met 460 mds d’euros d’engagement public », a dénoncé sur Twitter le patron du PCF Fabien Roussel.
LE SYNDICAT ALLEMAND IG METALL REDOUTE UNE « CATASTROPHE » SOCIALE
Le puissant syndicat allemand IG Metall redoute une « catastrophe » sociale chez Airbus, au lendemain de l’annonce de la suppression de 15.000 postes dans le groupe, dont un tiers en Allemagne.
« Nous nous attendons à ce que Airbus assure, en dialoguant avec les représentants du personnels, l’avenir des lieux de production » en Allemagne, et « cela passe par un renoncement aux licenciements secs », estime mercredi le syndicat dans un communiqué.
L’organisation craint une « catastrophe pour les hommes et les lieux de production » en Allemagne, qui doit inciter « les politiques à trouver des solutions pour le secteur ».
Plombé par la pandémie de coronavirus, qui a plongé le secteur aérien, son principal client, dans une crise profonde, Airbus a annoncé mardi la suppression d’environ 15.000 postes en Europe, soit environ 11% de ses effectifs.
Un tiers de ces suppressions de postes doivent être réalisées en France, mais l’Allemagne est le pays le plus touché, avec 5.100 postes concernés.
« Il existe des alternatives à des suppressions de postes, telles que la diminution du temps de travail », estime le syndicat.
IG Metall appelle également le groupe aéronautique à « prolonger les dispositifs de chômage partiel ».
« Dans certains lieux de production d’Airbus, le chômage partiel n’a pas été demandé une fois en deux mois : c’est un paradoxe de discuter désormais d’un tel plan de suppression de postes », juge le syndicat.
Si Airbus a annoncé ne pas exclure de licenciements, il compte sur les départs volontaires, des mesures de retraite anticipée et sur les dispositifs de chômage partiel pour les limiter.
« Les départs contraints qui auront lieu devraient être au bout du compte bien plus limités que les chiffres annoncés aujourd’hui », a indiqué mardi à l’AFP le dirigeant du groupe, Guillaume Faury.
Les dispositifs de chômage partiel de longue durée en France et en Allemagne, en fonction de leurs « modalités précises », pourraient permettre de préserver « jusqu’à 1.000 emplois » en France, et 1.500 en Allemagne, a-t-il précisé.
LES AIDES DE L’ETAT PEUVENT SAUVER 2.000 EMPLOIS EN France
Les dispositifs d’aide de l’Etat devraient permettre de « sauver » 2.000 emplois, sur les 5.000 postes qu’Airbus entend supprimer en France, a assuré mercredi le secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari.
« Il est envisagé au niveau mondial 15.000 suppressions d’emplois, dont 5.000 en France, mais ça ne tient pas compte des différents dispositifs d’Etat, et des dispositifs d’entreprise », a relevé M. Djebbari sur BFM TV et RMC.
« On a fait les calculs cette nuit », a-t-il assuré: « Si vous mettez en place l’activité partielle longue durée (…), c’est 1.500 emplois qui seraient sauvés » en France, où Airbus employait 49.000 personnes fin 2019.
« On investit aussi massivement sur l’avion de demain, la nouvelle génération d’avions verts, sobres en carbone, c’est 500 emplois qui vont être sauvés pour Airbus. Déjà 2.000 emplois ! »
S’ajoutent, selon M. Djebbari, « les dispositifs d’entreprise: le volontariat, les départs volontaires, les congés formation… »
« L’Etat demande à Airbus de faire en sorte qu’il y ait le moins de départs contraints, le moins de licenciements secs possible », a-t-il insisté.
« Je veux être un homme politique réaliste », a-t-il ajouté: « Airbus a vu au même moment et partout dans le monde ses commandes annulées ou stoppées, et Airbus envisage une activité réduite à 60% pendant deux ans. Il y a un contexte. »
« Quand on dit que depuis le début du Covid, on a eu 98% du trafic aérien qui s’est effondré, que la crise est possiblement durable, on parle de retour à la normale en 2023, 2024, 2025… Moi, je ne sais pas dire comment les Français, les Européens vont revoyager. Je ne sais pas dire s’ils vont revoyager loin, je ne sais pas dire si la clientèle d’affaires va revenir dans les avions… (…) Et ne sachant pas dire ça, je ne sais pas prévoir les carnets de commandes des avions. »
« Airbus, évidemment, aura à vivre une période très difficile », a-t-il conclu.
Airbus a annoncé mardi la suppression d’environ 15.000 postes, soit 11% de ses effectifs, dont 5.100 postes en Allemagne, 5.000 en France, 1.700 au Royaume-Uni, 900 en Espagne et 1.300 sur les autres sites du groupe dans le monde.
Si l’avionneur n’exclut pas des licenciements, il compte sur les départs volontaires, des mesures de retraite anticipée et sur les dispositifs de chômage partiel pour les limiter.
Concernant les effets de l’activité partielle de longue durée en France, son président exécutif Guillaume Faury s’était montré plus prudent que le secrétaire d’Etat aux Transports, dans un entretien à l’AFP mardi. « On ne connaît pas les modalités précises du dispositif (…) donc il faut parler avec prudence, mais on pense qu’on peut aller jusqu’à à peu près 1.000 emplois, de gens qu’on aimerait pouvoir garder dans l’entreprise jusqu’au premier trimestre 2022 », avait-il dit.
(avec Afp)