Macron – Philippe : La fin d’un couple vieux de trois ans

Vendredi, à 9H31, l’Élysée envoie un court communiqué de presse : « M. Édouard Philippe a remis ce jour la démission du Gouvernement au Président de la République, qui l’a acceptée ». L’annonce donne le coup d’envoi d’une folle journée, officialisant la fin d’un couple vieux de trois ans.

Un Conseil des ministres, prévu une heure plus tard, est annulé. Toute activité ministérielle est aussitôt suspendue, des conférences de presse reportées sine die. A l’Assemblée nationale, le président de séance Hugues Renson annonce la suspension des travaux de la représentation nationale.

Il faudra attendre encore une demi-heure pour lever une ambigüité : Édouard Philippe ne se succèdera pas à lui-même à la tête du gouvernement, annonce à l’AFP son entourage.

Quelques minutes plus tard, sur le perron de l’hôtel de Matignon, on installe tapis rouge et micro, dans l’attente d’une passation de pouvoirs, alors que les huissiers apportent des cartons dans les bureaux.

Dans la cour, les proches et l’épouse d’Edouard Philippe font des photos, derniers souvenirs de Matignon, après un bail de trois ans.

C’est en fait jeudi soir qu’Édouard Philippe a remis sa démission, au cours d’un entretien qui a duré une partie de la soirée avec Emmanuel Macron, et qualifié de « chaleureux et amical » par l’Élysée. A l’issue, le président a pris la peine de raccompagner son hôte sur le perron du palais, geste rare pour marquer gratitude et considération.

Plus tôt, Emmanuel Macron avait reçu plusieurs journalistes de la presse régionale. Édouard Philippe ? Son travail est « remarquable », a martelé le président, en vantant une « relation de confiance d’un certain point de vue unique à l’échelle de la Ve République ». 

De quoi relancer l’hypothèse d’un maintien du Premier ministre, alors que, depuis plusieurs jours, personne dans la macronie ne se risquait à faire état de certitudes quant à la prochaine équipe gouvernementale.

Orgueil et flegmatisme

L’annonce de vendredi sonne ainsi l’épilogue d’un suspense et d’un casse-tête de casting pour le président de la République, qui entend avant tout relancer son quinquennat pour mieux préparer sa réélection en 2022.

Depuis la fin du confinement, l’idée d’un remaniement était certes acquise, obligée par la promesse de « réinvention » formulée par Emmanuel Macron. Mais comment se séparer d’un chef de gouvernement qui, de l’avis unanime, a su endosser l’habit de Premier ministre ? 

La gestion de la crise liée au Covid-19 a parachevé l’image d’Édouard Philippe, devenu aux yeux de l’opinion l’homme de la situation, par ailleurs récompensé d’une nouvelle popularité. « Et puis qui d’autre à la place ? », répétaient nombre de membres du gouvernement.

Entre flegmatisme, stratégie et orgueil, Édouard Philippe s’était d’abord refusé à faire campagne pour conserver son poste.

« Il fait la même chose qu’au début : il sert son pays, l’État et le chef de l’État. C’est un honneur », répétait son entourage, début juin.

Couverture de Paris Match

Se faisait-il désirer ? Le 16 juin, dans Paris Normandie, il semblait conditionner son maintien à la tête du gouvernement – ou amortir son inéluctable départ. Emmanuel Macron « sait qui je suis, ce que j’incarne, ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire », déclarait-il. 

Le lendemain, il posait en couverture de Paris Match, col de chemise ouvert et pull-over échancré, sous le titre : « L’inconnu qui gouverne la France ». Ce qui, selon plusieurs observateurs, a agacé à l’Élysée.

Ses réserves sur l’éventualité d’un référendum pour entériner les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ont encore interrogé sur son envie d’épouser le « changement de cap », notamment écologique, voulu par le président de la République.

Son élection « nette » au Havre, dimanche dernier, lui a pourtant conféré une forme d’invulnérabilité, ont voulu croire ses thuriféraires.

« Quand vous avez une situation où le Premier ministre apporte satisfaction à un Français sur deux, si vous le limogez, vous prenez un risque », rappelait ainsi avant le départ d’Édouard Philippe le sondeur Jean-Daniel Lévy, directeur du département Analyse et opinion chez Harris Interactive.

D’abord celui de laisser le champ libre à un potentiel rival : pour prévenir l’écueil, Emmanuel Macron a demandé au maire du Havre de « l’aider » en travaillant à la « consolidation de la majorité » dans la perspective de 2022. L’ancien lieutenant d’Alain Juppé a accepté.

Vendredi après-midi, lors de la passation de pouvoir avec son successeur Jean Castex, Edouard Philippe a ensuite rendu un hommage appuyé à Emmanuel Macron, en saluant trois années de travail « dans des conditions de confiance et de fluidité qui resteront toute (sa) comme trois années assez exceptionnelles ». 

Plus tôt, dans la matinée, les entourages du président de la République et du désormais ex-Premier ministre juraient ainsi que la séparation de l’exécutif procédait d’un « consentement mutuel ». Sans dissiper une question persistante : lequel des deux hommes a vraiment quitté l’autre ?

MACRON REPREND LA MAIN EN NOMMANT JEAN CASTEX À MATIGNON

Emmanuel Macron a décidé vendredi de remplacer Edouard Philippe à Matignon par Jean Castex, 55 ans, son « M. Déconfinement », inconnu du grand public, signe que le chef de l’Etat reprend les rênes pour faire appliquer le « nouveau chemin » annoncé pour la fin du quinquennat.

« Soyez bon! », a lancé Edouard Philippe à son successeur lors de la passation de pouvoir, louant « le sens politique », « la connaissance fine du pays » et « l’intelligence » du haut fonctionnaire qui saura, selon lui, « prendre les bonnes décisions ».

Jean Castex lui a retourné les compliments, vantant la « clairvoyance », « la hauteur de vue » et « l’élégance » d’Edouard Philippe. Il a surtout affirmé vouloir « plus que jamais réunir la Nation » face à la crise économique et sociale qui est « déjà là » avec le coronavirus, affirmant que « les priorités devront donc évoluer » et que « les méthodes devront donc être adaptées ».

Il avait auparavant dit « mesurer l’immensité de la tâche » qui l’attend, dans un communiqué mis en ligne sur le site de la ville de Prades (Pyrénées-Orientales) dont il est maire désormais ex-LR, affirmant avoir accepté cette charge « compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouve notre pays ».

Ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand, Jean Castex représente « un choix macronien, conforme à l’esprit de dépassement porté par le président depuis trois ans », selon l’Elysée pour qui il vient, comme son prédécesseur, « de la droite mais est un gaulliste social ». 

Jean Castex, qui devrait finaliser son gouvernement durant le week-end, sera l’invité du 20h de TF1. La composition du nouveau gouvernement devrait être peaufinée durant le week-end, avant le prochain Conseil des ministres prévu mercredi.

« Il y aura de nouveaux talents » et « des personnalités venues d’horizons différents », a indiqué Emmanuel Macron jeudi.

Ils devront « mettre en œuvre la nouvelle étape du quinquennat, le projet de reconstruction sociale, économique, environnementale et locale », a souligné l’Elysée.

Edouard Philippe, avec lequel Emmanuel Macron a assuré jeudi entretenir une « relation de confiance unique », va retrouver dès dimanche la mairie du Havre. Mais il va rester en contact étroit avec le chef de l’Etat car, selon l’entourage de celui-ci, il a accepté « d’aider le président » à « consolider la majorité », fragilisée par la perte de la majorité absolue à l’Assemblée, des contestations internes et un fiasco aux élections municipales pour LREM.

Avec la démission du gouvernement et le départ d’Edouard Philippe, le président de la République cherche, à moins de deux ans de la présidentielle, à donner un nouveau souffle à son quinquennat.

« Techno »

« Le cap sur lequel je me suis engagé en 2017 reste vrai », a-t-il réaffirmé dans une interview à la presse régionale publiée jeudi. Mais alors que se profile une rentrée « très dure » sur les fronts économique et social, le prochain gouvernement sera chargé d’appliquer le « nouveau chemin » que le chef de l’Etat a commencé à dessiner, avec une priorité à la politique de santé, au grand âge et à un plan pour la jeunesse. Un changement qui s’annonce dans la continuité avec notamment la remise en chantier de la réforme des retraites.

Pour incarner ce « chemin » escarpé, plutôt qu’une figure de l’écologie ou un poids lourd politique, le chef de l’Etat a préféré un profil « techno », élu local et haut fonctionnaire. Un choix qui lui donne les mains libres, après trois ans d’entente cordiale avec Edouard Philippe qui prenait un poids croissant dans la stratégie gouvernementale et dans l’opinion. Et des dissensions de plus en plus marquées, notamment pour la réforme des retraites. 

D’autant plus que le directeur de cabinet de Jean Castex sera Nicolas Revel, un proche d’Emmanuel Macron que le chef de l’Etat avait tenté, en vain, d’imposer à Edouard Philippe à son arrivée à Matignon.

A noter que le premier cercle du pouvoir comprendra trois anciens secrétaires généraux adjoints de l’Elysée — Emmanuel Macron et Nicolas Revel sous François Hollande et Jean Castex sous Nicolas Sarkozy — et, comme auparavant, quatre énarques en incluant Alexis Kohler, bras droit d’Emmanuel Macron en tant que secrétaire général de l’Elysée.

« Nouveaux talents »

Avec Jean Castex, le chef de l’Etat « sera encore plus aux manettes », résume Bernard Sananès, président de l’institut Elabe.

Pour le président des Républicains Christian Jacob, Jean Castex, qui vient de démissionner de LR, représente un choix « technocratique ». « En matière de trahisons, on a donné déjà » a-t-il lancé, allusion à Edouard Philippe, également issu de LR.

« Je connais et j’apprécie les qualités de serviteur de l’Etat de Jean Castex. Elles seront indispensables dans les moments difficiles que nous allons connaître… Puissent-elles corriger les mauvais choix du Président de la République », a commenté le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand.

A gauche, on estimait que cette nomination démontrait une poursuite d’une politique « de droite ». « Le jour d’après sera de droite comme le jour d’avant », a fustigé Olivier Faure (PS). Chez les écologistes, Julien Bayou, numéro un d’EELV, a regretté la nomination d’un nouvel « homme de droite qu’on n’a jamais entendu sur l’écologie ».

Emmanuel Macron avait réaffirmé en avril, au plus fort de l’épidémie du Covid-19, vouloir « se réinventer » mais sans « renier » les réformes du début du quinquennat.

« SOYEZ BON! », LANCE PHILIPPE À CASTEX

« Connaissant votre sens politique comme votre rigueur intellectuelle, je n’ai aucun doute sur le fait que vous saurez (…) prendre les bonnes décisions »: Edouard Philippe s’est montré laudateur envers son successeur Jean Castex, vendredi, lors de leur passation de pouvoir à Matignon.

Après un entretien entre les deux hommes, le désormais ex-Premier ministre a d’abord salué « l’intelligence », la « connaissance fine du pays », le « sincère attachement à l’Etat » du nouveau locataire de Matignon, dont il avait fait il y a trois mois le « Monsieur déconfinement » du gouvernement.

« Notre pays qui a traversé cette crise sanitaire, qui a traversé d’autres crises, a besoin d’un esprit ouvert et d’une main ferme et je pense que vous avez cet esprit ouvert et cette main ferme », a poursuivi Edouard Philippe.

« Connaissant votre sens politique comme votre rigueur intellectuelle, je n’ai aucun doute sur le fait que vous saurez, face à des décisions qui sont parfois difficiles, prendre les bonnes décisions », a encore salué le désormais maire du Havre.

« Je n’ai pas véritablement besoin de vous souhaiter du courage, d’abord parce que je sais que vous en avez, et ensuite parce que si vous n’en aviez pas, vous ne seriez pas là », a-t-il encore fait valoir, avant de lui donner un conseil: « Soyez bon ! ».

En retour, Jean Castex a loué chez son prédécesseur un « style Edouard Philippe » mêlant « clairvoyance », « hauteur de vues » et enfin « l’élégance dans tous les sens de ce terme ».

Remerciant conseillers et personnel de Matignon, pour certains émus aux larmes, M. Philippe a quitté les lieux qu’il avait occupés pendant trois ans accompagnés d’applaudissements nourris, sous les yeux de son épouse et de son fils aîné.

CINQ CHOSES À SAVOIR SUR JEAN CASTEX

C’est un énarque « qui sait compter », un proche de Nicolas Sarkozy, élu local du Sud et du « monde rural », et le chef d’orchestre du déconfinement : voici cinq choses à savoir sur Jean Castex, nommé Premier ministre vendredi.

ENA et Cour des comptes

Jean Castex est un produit de la haute administration, élève de la promotion Victor Hugo de l’ENA (1989-1991), aux côtés de Frédéric Salat-Baroux, l’ancien secrétaire général de l’Elysée et gendre de Jacques Chirac.

Après l’ENA, il rejoint la Cour des comptes, puis enchaîne les postes dans l’administration, à la tête de la direction des hôpitaux puis directeur de cabinet de Xavier Bertrand, un proche, au ministère de la Santé (2006-2007) et du Travail (2007-2008).

« C’est un grand commis de l’État et en plus c’est un conseiller maître à la Cour des comptes, ça veut dire qu’il sait compter. Et on a intérêt à avoir quelqu’un qui sait compter les milliards » face à la crise du Covid-19, souligne sur France Info Camille Pascal, qui a collaboré avec lui à l’Elysée pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Sarkozyste

Fin 2010, Jean Castex devient conseiller des affaires sociales du président Nicolas Sarkozy. Son prédécesseur Raymond Soubie dit au JDD l’avoir convaincu de prendre le poste « au dessert », lors d’un déjeuner à l’Elysée.

Ce père de quatre enfants monte ensuite en grade en février 2011, en devenant secrétaire général adjoint de l’Elysée. Une fonction qu’occupera plus tard Emmanuel Macron, mais cette fois sous François Hollande.

A l’époque Macron collabore avec un autre secrétaire général adjoint, Nicolas Revel, celui là même qui a été choisi comme directeur de cabinet de… Jean Castex.

La proximité avec Nicolas Sarkozy demeure. Après sa nomination, il a appelé l’ancien président, selon plusieurs médias. Mais il a rendu sa carte du parti LR, qui a reçu vendredi matin un courrier où il demande de « retirer son adhésion ».

« Politiquement, je suis de droite et je l’assume parfaitement », soulignait Jean Castex à la fin des années 2000.

Elu local

Jean Castex, 55 ans, était maire de Prades, une ville de 6.000 habitants des Pyrénées-Orientales, où il vient d’être largement réélu, à plus de 75% des voix.

Avant la passation de pouvoir avec Edouard Philippe, c’est d’ailleurs sur le site internet de sa commune qu’il a réagi à sa nomination en soulignant « l’expérience acquise en tant que maire ».

Lors de la passation, Jean Castex a insisté sur son profil d’élu local du « Sud » et du « monde rural ».

Il est l’auteur d’un livre sur « la ligne de chemin de fer de Perpignan à Villefranche-de-Conflent » et son éditeur, Talaia Perpignan, le dit « passionné d’histoire »

Son grand-père Marc Castex était sénateur du Gers et maire de Vic-Fezensac.

Jean Castex n’a jamais été parlementaire ni ministre.

JO-2024

Avant d’être chargé du déconfinement, Jean Castex était le M. Jeux Olympiques 2024 du gouvernement, comme délégué interministériel, une mission où de nombreux acteurs de terrain saluent son action.

Le Premier ministre est donc décrit comme un « Monsieur Sport », même si avant de prendre ce poste JO en 2017, il aurait, selon Le Monde, confié au Président Macron : « Je vous préviens, j’y connais rien au sport ».

Le président socialiste du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, a souligné vendredi avoir eu de « bonnes relations personnelles » avec Jean Castex sur ce dossier des JO, où le 93 est en première ligne: « Ce qui est assez agréable, c’est sa capacité à entretenir des bonnes relations personnelles, mettre les sujets sur la table en toute clarté », a dit cet élu PS sur BFMTV.

M. Déconfinement

Il avait été désigné le 6 avril pour coordonner la stratégie nationale de déconfinement.

Avec sa « task force » de 18 collaborateurs, il a défendu une doctrine prudente pour la sortie de crise et on le disait très présent à Matignon et très interventionniste auprès des ministères.

Durant la passation, Jean Castex a insisté avec gravité « sur la crise sanitaire qui n’est malheureusement pas terminée. La crise économique et sociale, elle, est déjà là », a-t-il aussi martelé.

(avec Afp)

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