Le frère de George Floyd a lancé mercredi un vibrant appel devant le Congrès des États-unis, implorant les élus de « mettre un terme à la souffrance » des Afro-Américains et d’adopter des réformes significatives des forces de police.
Très ému, Philonise Floyd a expliqué « ne pas pouvoir décrire la douleur » ressentie en regardant la vidéo du calvaire de son frère, asphyxié le 25 mai à Minneapolis par un policier blanc qui s’est agenouillé sur son cou pendant près de neuf minutes.
« Je suis ici pour vous demander de mettre un terme à la souffrance, à notre épuisement », a-t-il lancé devant une commission parlementaire qui, au lendemain de l’inhumation de George Floyd, a disséqué les raisons du drame.
« S’il vous plaît, écoutez les appels qui montent de la rue », a plaidé le quadragénaire, en référence aux manifestations qui ont essaimé depuis deux semaines dans tous les États-Unis, les plus importantes depuis le mouvement des droits civiques dans les années 1960.
« Honorez-les et adoptez les réformes nécessaires pour faire en sorte que les forces de l’ordre soient la solution et non le problème », a-t-il poursuivi.
« Faites en sorte qu’elles rendent des comptes quand elles agissent mal, apprenez-leur à traiter les gens avec empathie et respect et apprenez-leur qu’une force létale ne doit être appliquée que quand une vie est en jeu », a-t-il énuméré.
« Fermer les yeux »
Son audition, aux côtés de représentants de la police et de la société civile, a été organisée par la commission judiciaire de la Chambre des représentants, à majorité démocrate, pour appuyer une proposition de loi présentée lundi, et qui vise à « changer la culture » au sein de la police des Etats-Unis.
« Nous ne pouvons pas fermer les yeux face au racisme et à l’injustice qui imprègnent trop de nos forces de police », a déclaré Jerry Nadler, le chef de la commission. « La nation exige que nous agissions ».
Depuis la mort de George Floyd, des foules noires et blanches battent le pavé pour réclamer justice et de profondes réformes au sein des quelque 18.000 services de police qui coexistent aux États-Unis (police municipale, shérifs des comtés, patrouille des États…).
Au cri de « Black Lives Matter » (les vies noires comptent), les manifestants dénoncent la « brutalité policière » qui vise de manière disproportionnée les Afro-Américains. Les manifestants exigent aussi la fin de la large immunité dont jouissent les policiers.
Après la mort de George Floyd, il a fallu plusieurs jours pour que le policier Derek Chauvin soit inculpé de « meurtre » et trois de ses collègues, présents sur la scène du crime, de « complicité ».
« L’immunité apporte un sentiment d’impunité », a dénoncé Ben Crump, l’avocat de plusieurs victimes noires mortes aux mains de la police. Il faut s’attaquer aux violences policières « comme à une épidémie », a-t-il ajouté devant la commission du Congrès.
Registre des bavures
Face à cette colère, de premières mesures ont été prises au niveau local: la police de Houston va renoncer à la pratique controversée des « prises d’étranglement » lors d’arrestations de suspects, celle de Washington n’engagera plus de policiers ayant des précédents de violence….
A Minneapolis, le chef de la police Medaria Arradondo a dénoncé mercredi la convention collective négociée avec les puissants syndicats de police. Ce n’est pas une affaire « de salaires ou d’avantages » mais de « transparence », a-t-il expliqué, alors que cet accord a été accusé de protéger les abus policiers pendants des années.
Au niveau fédéral, le « Justice and Policing Act », soutenu par plus de 200 élus essentiellement démocrates, entend créer un registre national pour les policiers commettant des bavures, faciliter les poursuites judiciaires contre les agents et repenser leur recrutement et formation.
Mais l’avenir de ce texte est très compromis au Sénat, à majorité républicaine.
Face à cette mobilisation, le chef de la majorité à la chambre haute, Mitch McConnell, a toutefois annoncé mardi qu’il chargeait le seul sénateur républicain noir, Tim Scott, de mener la réflexion pour le parti du président sur ce sujet.
Après avoir dénoncé une mort « triste et tragique », Donald Trump, qui est en campagne pour sa réélection, a mis l’accent sur un discours sécuritaire, insistant sur les violences commises en marge des manifestations.
Lors de l’audition mercredi, les élus républicains ont tenu un discours comparable. « La douleur de votre frère est devenue celle de l’Amérique », a lancé Jim Sensenbrenner à Philonise Floyd, tout en attribuant les violences policières à « des pommes pourries » et non à un système à réviser.
LES OBSÈQUES DE GEORGE FLOYD, TRANSFORMÉES EN TRIBUNE POLITIQUE
Entre les larmes, les slogans : les obsèques de George Floyd, dans une église du Texas mardi, ont mêlé les hommages à cet homme noir tué par un policier blanc et les appels enflammés à s’attaquer, enfin, au racisme qui « blesse l’âme » de l’Amérique.
De la famille aux pasteurs, le président Donald Trump a été malmené à plusieurs reprises lors de ces funérailles organisées dans l’église Fountain of Praise à Houston, où cet Afro-Américain de 46 ans avait passé l’essentiel de sa vie.
Figure de la lutte pour les droits civiques, le révérend Al Sharpton, qui a prononcé l’éloge funèbre retransmis en direct dans des millions de foyers, a même accusé le président de « malfaisance », lui reprochant d’encourager les policiers à se croire au-dessus des lois.
Sur un registre plus intime, les proches du défunt, très émus, ont salué « Big George », leur « superman », leur « doux géant » dont la stature — près de deux mètres — n’a pas empêché un agent de police de l’étouffer, en s’agenouillant pendant près de neuf minutes sur son cou, il y a quinze jours à Minneapolis, dans le nord du pays.
« Vous êtes obligés de faire votre deuil en public, c’est difficile », leur a dit le candidat démocrate à la présidentielle, Joe Biden, dans une vidéo au ton très personnel diffusée pendant la cérémonie. Mais pour lui, « l’heure de la justice raciale est venue ».
A l’issue de la cérémonie, des centaines de personnes scandant le nom de George Floyd ont accompagné sa dépouille, transportée dans une calèche funéraire blanche jusqu’au cimetière Memorial Gardens dans la banlieue de Houston. Pour l’intimité de la famille, la presse n’était pas autorisée à assister à l’inhumation.
« Nettoyer la Maison Blanche »
« Nous ne pouvons plus nous détourner du racisme qui blesse notre âme », avait déclaré plus tôt l’ancien vice-président de Barack Obama, qui jouit d’une grande popularité parmi les électeurs noirs.
Plusieurs élus démocrates se sont succédé à la tribune, mais c’est la jeune nièce de George Floyd qui s’est aventurée la première sur un terrain clairement politique.
« Certains disent qu’il veulent rendre leur grandeur à l’Amérique », a lancé Brooke Williams, en référence au slogan de campagne de Donald Trump. « Mais, quand est-ce que l’Amérique a été grande? »
« La première chose que nous devons faire est nettoyer la Maison Blanche », a ajouté peu après le révérend Bill Lawson, en appelant, sous les applaudissements de l’église, les Américains à « voter ».
Le calvaire de George Floyd, dont une vidéo est devenue virale, a suscité une mobilisation inédite aux Etats-Unis depuis la lutte des droits civiques dans les années 1960.
Sous le cri « Black Lives matter » (Les vies noires comptent), les appels à réformer la police et à lutter contre les inégalités raciales ont gagné le monde entier.
« Meurtre policier »
Après avoir dénoncé une mort « triste et tragique », le président Donald Trump, qui brigue un second mandat en novembre, a opté pour un discours de fermeté, mettant l’accent sur les violences qui ont secoué plusieurs grandes villes le dernier week-end de mai.
Encore mardi, il n’a pas eu un mot pour George Floyd ou les victimes de violences racistes. Dans un tweet, il a au contraire mis en cause la crédibilité d’un homme de 75 ans récemment poussé par des policiers lors d’une manifestation.
Le révérend Al Sharpton lui a férocement reproché ce discours. « Le président a parlé d’appeler les militaires en renfort » pour ramener le calme aux Etats-unis, « mais il n’a pas eu un mot pour les 8 minutes et 46 secondes de ce meurtre policier », a-t-il ajouté, tout en admettant que Donald Trump avait adressé en privé « sa sympathie » à la famille.
« Le message transmis, c’est que, si vous êtes dans les forces de l’ordre, la loi ne s’applique pas à vous », a déploré le pasteur, qui a fait se lever un à un les proches d’Afro-Américains morts tués par des policiers, dont Eric Garner ou Breonna Taylor.
Entrecoupées de chants gospel, les funérailles ont aussi vu un artiste dessiner le visage de George Floyd en ligne blanche, sur une toile noire.
Rare figure blanche à s’exprimer, le pasteur Steve Wells a interpellé sa communauté: « Nous sommes meilleurs qu’avant, mais nous ne sommes pas aussi bons que nous devrions l’être. » « Il faut que vous agissiez pour plus de justice raciale », a-t-il imploré.
George Floyd repose désormais aux côtés de sa mère Larcenia, décédée en 2018, dont il avait le surnom « Cissy » tatoué sur la poitrine. Lors de son calvaire, il avait supplié le policier Derek Chauvin de le relâcher en implorant « maman ».Devenu le visage des brutalités policières, l’agent de 44 ans a été inculpé pour meurtre et est détenu dans une prison de haute sécurité. Trois de ses collègues impliqués dans le drame ont également été arrêtés et accusés de complicité.
(avec Afp)