Malgré la pandémie de nouveau coronavirus, des dizaines de milliers de personnes dans le monde ont battu le pavé samedi pour exprimer leur ras-le-bol du racisme et des brutalités policières après la mort du Noir américain George Floyd, asphyxié par un policier blanc.
Du Royaume-Uni à l’Australie, en passant par la France et la Tunisie, les manifestants ont bravé les appels des autorités à rester chez soi en raison de la crise sanitaire dans un mouvement de protestation inédit qui s’est greffé sur celui ayant embrasé les Etats-Unis.
Après plusieurs heures de rassemblement pacifique, des incidents ont éclaté en fin de journée aux abords de Downing Street, dans le centre de Londres. Des projectiles comme des bouteilles ont été lancés sur la police qui a chargé à cheval pour tenter de disperser les manifestants.
Rassemblés auparavant près du Parlement non loin, des milliers de personnes, le visage souvent recouvert d’un masque, mais sans forcément respecter les règles de distanciation, avaient brandi des pancartes reprenant le slogan « Black Lives Matter » (Les vies noires comptent).
Pour Tammy Turvy, qui travaille dans le secteur éducatif, il est « important » de se mobiliser contre « toutes les atrocités », notamment pour « ceux qui sont morts aux mains des autorités » dans le monde.
Une autre « pandémie »
« Le Royaume-Uni n’est pas innocent », ont dénoncé les manifestants, tambours battants. Ils ont aussi observé une minute de silence, agenouillés et poings levés, avant de se diriger pour certains vers l’ambassade des Etats-Unis, salués par les klaxons des automobilistes.
Comme dans la capitale britannique, ils étaient des milliers à Manchester (Nord-Ouest) pour « en finir avec le racisme », une autre « pandémie ».
Inspiré par le tragique événement, le célèbre street artiste Banksy a dévoilé sur Instagram une nouvelle œuvre, où l’on voit une bougie veillant à côté d’une photo d’une personne noire mettre le feu au drapeau américain. « Les personnes de couleur sont abandonnées par le système. Le système blanc », déplore-t-il.
Procureur légèrement blessé
En Australie, premier pays à ouvrir le bal international de l’indignation samedi, des milliers de personnes ont manifesté à travers le pays, brandissant des banderoles « Je ne peux pas respirer », en référence à la plainte prononcée par George Floyd, dont le cou a été obstrué pendant près de neuf minutes par le genou du policier qui l’avait arrêté pour un délit mineur.
Pour les organisateurs, cette affaire trouve de nombreux échos dans leur pays: ils souhaitaient dénoncer aussi le taux d’emprisonnement très élevé parmi les Aborigènes, et les morts – plus de 400 ces trente dernières années – de membres de cette communauté alors qu’ils étaient détenus par la police.
En France, où le drame américain a ravivé le souvenir d’Adama Traoré, un jeune homme noir mort en 2016 après une interpellation par des gendarmes, des actions qui ont rassemblé au total plus de 23.000 personnes selon la police ont été organisées dans plusieurs villes pour dénoncer le « racisme » et « l’impunité » qui règneraient au sein des forces de l’ordre.
A Metz, la fin de la manifestation a été marquée par des incidents et le procureur de cette ville de l’Est a été légèrement blessé.
A Paris, malgré l’interdiction des autorités, plusieurs milliers de personnes ont réclamé « Justice pour tous » près de l’ambassade américaine, dont elles ont été tenues à l’écart par les forces de l’ordre déployées en masse.
Mahmoud, danseur noir de 29 ans, voit dans ces mobilisations un « petit espoir de faire changer les choses » et de faire reculer un racisme dont il se dit régulièrement victime.
En Allemagne, plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans l’après-midi partout dans le pays. Les joueurs du Bayern Munich, le leader du championnat, ont également témoigné leur solidarité en s’échauffant samedi avec un t-shirt portant l’inscription « Carton rouge contre le racisme – BlackLiveMatters », avant le match de Bundesliga contre Leverkusen.
Sur la place centrale de Turin (Nord de l’Italie), des jeunes manifestants ont observé huit minutes de silence tandis qu’à Tunis, environ 200 personnes ont réclamé de pouvoir « respirer » face au racisme, qui « étouffe » dans ce pays où des migrants de l’Afrique subsaharienne affirment souvent être victimes d’agressions verbales et physiques.
A Varsovie, un millier de personnes, souvent jeunes et vêtues de noir, ont été rejointes par le candidat de la gauche à la présidentielle, Robert Biedron, le visage masqué.
Au Canada, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Toronto, pour la seconde journée consécutive. Des manifestations ont aussi eu lieu dans d’autres villes canadiennes, dont Saint-Jean de Terre Neuve. Une manifestation de grande ampleur est prévue dimanche à Montréal.
JOURNÉE DE MANIFESTATIONS PACIFIQUES EN AMÉRIQUE
Washington, Philadelphie, New York : des dizaines de milliers d’Américains ont manifesté samedi dans une atmosphère apaisée contre le racisme et les brutalités policières lors d’une journée marquée par une nouvelle cérémonie à la mémoire de George Floyd.
Sous un soleil de plomb, s’arrêtant parfois pour poser un genou à terre, une foule dense a envahi les rues de de la capitale fédérale américaine, aux abords de la Maison Blanche, du Capitole ou encore du mémorial de Lincoln.
C’est devant cet imposant monument que le pasteur d’Atlanta Martin Luther King avait, le 28 août 1963, face à près de 250.000 personnes, lancé « I have a dream » dans un discours devenu une référence de la lutte des droits civiques.
« Nous sommes de retour ici, avec un nouveau message d’espoir », confie à l’AFP Deniece Laurent-Mantey, Afro-Américaine de 31 ans.
Contrairement à ce mouvement emblématique des années 60, ou aux autres rassemblements que la capitale à l’habitude d’accueillir, les manifestations de samedi n’étaient pas centrées sur un événement ou une allocution.
Plus d’une dizaine de collectifs, dont plusieurs se sont formés spontanément sur les réseaux sociaux après la mort de George Floyd, ont appelé à envahir les rues de la capitale.
Sur l’imposant grillage dressé devant la résidence de Donald Trump ont été accrochées les têtes de George Floyd, Michael Brown, Trayvon Martin, Breonna Taylor, des Afro-Américains tous morts aux mains de la police américaine ces dernières années.
Depuis la Maison Blanche, où il passe le weekend, Donald Trump a poursuivi son intense activité sur Twitter sans évoquer les manifestations.
« No Justice, No Peace »
En face, dans une ambiance très familiale, les manifestants entonnaient tour à tour classiques du soul et slogans politiques comme « No Justice, No Peace, No racist Police » (Pas de justice, Pas de paix, Pas de police raciste), profitant des bouteilles d’eaux glacées distribuées par de nombreuses associations, sous une chaleur accablante.
Présente sur place, la maire de Washington Muriel Bowser, cible des tweets moqueurs du président américain, a jugé qu’il était temps de dire « Au suivant » en novembre, en référence à l’élection présidentielle prévue dans 150 jours.
« J’ai l’impression que nous nous sommes battus, battus, battus et que tout d’un coup, tout a éclaté au grand jour » se félicite Patricia Thompson, 55 ans, en référence à toutes les entreprises et organisations américaines qui ont selon elle pris publiquement position « contre le racisme institutionnel » pour la première fois après cette interpellation mortelle.
Entraîné par une mobilisation massive sur les réseaux sociaux, le mouvement a fait tâche d’huile jusqu’à Londres, Pretoria, Paris et même Sydney, où au moins 20.000 personnes ont manifesté samedi.
Après une première cérémonie émouvante à Minneapolis jeudi, les proches de cet Afro-Américain de 46 ans asphyxié par un policier blanc lors d’une interpellation, lui ont rendu un nouvel hommage dans l’intimité familiale à Raeford, dans son Etat natal de Caroline du Nord. Ses obsèques sont prévues le 9 juin à Houston.
Les nouveaux exemples de violences policières, notamment lors de la répression de ces protestations parfois violentes, nourrissent la colère à l’origine des manifestations qui secouent les Etats-Unis depuis la mort de George Floyd.
Plusieurs vidéos montrant des interventions policières musclées face à des manifestants pacifiques ont émergé ces derniers jours.
En prévision des nouvelles manifestations, le chef de la police de Seattle a annoncé l’interdiction du recours au gaz lacrymogène pour trente jours.
La police de Minneapolis a aussi annoncé vendredi qu’elle interdisait dorénavant les « prises d’étranglement », technique dangereuse notamment utilisée en 2014 à New York sur Eric Garner, autre homme noir décédé aux mains de la police dont les cris « Je ne peux pas respirer » ont également été prononcés par George Floyd lors de sa mort.
Mais les marches vont désormais au-delà de ce seul cas, pour dénoncer un racisme systémique et réclamer un véritable changement.
Elles sont ces derniers jours restées pacifiques et plusieurs villes, dont Washington, Seattle et Los Angeles, ont désormais levé leur couvre-feu. Mais pas New York, où il est maintenu jusqu’à dimanche soir.
DES MILLIERS DE MANIFESTANTS EN FRANCE CONTRE LES VIOLENCES POLICIÈRES
L’onde de choc provoquée par la mort de George Floyd aux Etats-Unis a continué de se propager samedi en France où plus de 23.000 manifestants, selon le ministère de l’Intérieur, ont dénoncé les violences policières et réclamé « justice pour tous ».
Surveillés de près par les autorités, les rassemblements antiracistes organisés dans plusieurs villes de France ont rendu hommage à cet Afro-américain mort aux mains de la police, et fustigé le « racisme » et « l’impunité » qui règneraient chez les forces de l’ordre en France.
A Paris, 5.500 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, ont bravé les interdictions préfectorales liées au Covid-19 pour se rassembler place de la Concorde, près de l’ambassade américaine, et, plus tard, sur le Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel.
« Les propos racistes toute ma vie j’en ai eu », a confié Nadine, 46 ans, cadre dans les assurances. « C’est notre vie, être française noire en France, c’est pas facile ».
A Bordeaux, au moins 2.500 personnes ont défilé derrière des banderoles dénonçant une « police raciste », avant d’observer, agenouillés et pour certains le poing levé, une longue minute de silence.
Un second rassemblement a réuni quelques centaines de personnes qui ont écouté les noms de victimes de violences policières.
« Je ne veux pas que ma fille grandisse dans une société où les vies humaines n’ont pas toutes la même valeur », a expliqué Caroline Fache, Franco-américaine.
A Lyon, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées dans le centre-ville tandis qu’à Nice 2.500 personnes se sont agenouillées au pied d’une statue d’Apollon, en mémoire de George Floyd.
« La France se noie dans son racisme. Nous dénonçons les violences policières et le déni de silence des institutions », a assuré à Lyon Arkya Sedime, membre du collectif des Afro-descendants.
A Rennes, les participants ont fait corps autour d’Awa Gueye, la sœur de Babacar Gueye, tué par balles lors d’une intervention de police à Rennes en 2015.
« Il y a 34 ans, j’étais étudiante et je manifestais déjà pour dénoncer la mort de Malik Oussekine. Rien n’a changé », a assuré Nathalie Aubré-Connan.
A Marseille, plus de 3.000 personnes, selon la police, se sont élancées du Vieux-Port en soirée. « Il n’y a plus de présomption d’innocence. On qualifie les gens à l’avance sur leur physique », a commenté Ouiam el-Hamdani, étudiante en droit. A ses côtés, Cléo qui a vécu en Martinique regrette qu’en métropole des amis noirs lui demandent le soir de les raccompagner « par peur d’être arrêtés par la police ».
Des rassemblements plus modestes se sont tenus à Nancy, Béziers ou Limoges et des actions avaient déjà eu lieu la veille à Strasbourg et Clermont-Ferrand.
La quasi-totalité d’entre eux se sont déroulés dans le calme même si des incidents ont éclaté en fin de manifestation à Metz quand le procureur a été légèrement blessé par le jet d’un caillou.
« Fracture » dans la société
Objets de polémiques récurrentes ces dernières années, les accusations de violences policières couplées à celles de racisme avaient déjà trouvé un nouvel écho mardi soir à Paris.
Au moins 20.000 personnes avaient alors répondu à l’appel de la famille d’Adama Traoré, mort en 2016 après son interpellation dans le Val-d’Oise, scellant une mobilisation inédite.
Mis sous pression, le gouvernement a réfuté l’existence de tout « racisme structurel » au sein des forces de l’ordre mais a fini par admettre l’existence d’un « certain malaise ».
En première ligne, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a promis d’être « intransigeant » face à tout signe tangible de racisme chez les forces de l’ordre.
Vendredi, il a saisi la justice après la révélation de l’existence d’un groupe privé sur Facebook réservé aux forces de l’ordre et où sont échangés des messages racistes. Le parquet de Paris a ouvert une enquête.
A droite, ce climat électrique fait craindre une aggravation de la « fracture » et la montée d’une « haine anti-flics », selon le président du groupe LR à l’Assemblée, Damien Abad.
Jean-Luc Mélenchon, leader des Insoumis, a lui pointé du doigt l’exécutif. « La racine de tout ça, c’est un pouvoir politique qui est dans la main des syndicats de police qui font ce qu’ils veulent », a-t-il affirmé.
Déplorant un « silence massif », SOS Racisme a, elle, demandé au gouvernement « d’ouvrir – enfin – le chantier de la lutte contre le racisme au sein des forces de l’ordre ».
(avec Afp)