Quand l’Illinois a ordonné la fermeture des commerces non essentiels pour freiner l’avancée du nouveau coronavirus, Josh Ellis a estimé que cela menaçait sa liberté et les Etats-Unis, alors il a appelé à manifester contre le confinement.
« C’est devenu tout de suite viral », explique-t-il à l’AFP, et ce succès l’a poussé à créer début avril une page Facebook, Révolution Américaine 2.0, pour coordonner l’organisation de manifestations.
La page a été fermée pour violation du règlement du réseau social, mais son organisation a grandi et rassemble opposants au confinement, milices locales et militants religieux.
« Facebook est utile, mais ce n’est pas notre seul outil », dit Josh Ellis, 40 ans, qui gère aussi des comptes Twitter et Telegram, et un site internet.
Il a aussi pris en charge le site internet My Militia (Ma Milice), qui se décrit comme un « réseau de patriotes américains ». C’est « comme une recherche Google des milices locales » qui viennent grossir les rangs des manifestants, dit-il.
La contestation et les manifestations se sont multipliées du Michigan au Texas, de la Californie au Massachusetts.
Et la pression semble avoir payé: les 50 Etats ont rouvert une partie de leurs activités économiques, même si des restrictions sont toujours en place.
Mais pour Josh Ellis, c’est encore insuffisant. Il veut une réouverture totale « immédiatement » pour reprendre son activité de rénovation d’intérieur et de petits travaux.
La mise en sommeil de l’économie a fait beaucoup de mal, souligne-t-il. Le restaurant de son beau-père « a pratiquement mis la clé sous la porte », et un autre proche, dentiste, a fermé son cabinet.
Pour lui, les restrictions sont des « violations extrêmes de la Constitution » et les gouverneurs les ayant décrétées ont commis une « trahison ».
Les groupes comme ceux de Josh Ellis essaiment depuis deux mois sur les réseaux sociaux, un casse-tête démocratique pour les plateformes.
« Les événements allant à l’encontre des consignes gouvernementales sur la distanciation physique ne sont pas autorisés sur Facebook », a indiqué à l’AFP un porte-parole. Twitter supprime les contenus « nuisibles » ou les messages contraires aux recommandations des autorités sanitaires.
« Lorgnette partisane »
Cory Hedgepeth, fondateur du groupe Facebook Rouvrir l’Amérique qui compte plus de 30.000 membres, a choisi une approche totalement différente de celle de Josh Ellis.
« Nous voulons donner aux gens, libéraux et conservateurs, qui souffrent de la perte d’un emploi ou de revenus, un endroit pour s’exprimer », dit cet habitant de Pennsylvanie qui travaille dans le marketing numérique.
« Nous sommes une plateforme où les gens échangent des idées et des concepts », assure-t-il, soulignant qu’il n’organise pas de manifestation. « Mais nous soutenons ceux qui protestent en toute sécurité et avec de bonnes intentions ».
Cory Hedgepeth s’inquiète toutefois de la position dominante de Facebook, qui est « troublante ». Le réseau social devrait « nous aider à faire prendre conscience des difficultés des travailleurs américains », dit-il.
Les divisions sur une réouverture de l’économie alors que la pandémie n’est pas encore maîtrisée restent fortes aux Etats-Unis, jusqu’au sein du gouvernement.
Le président Donald Trump fait pression pour une relance économique, appelant des gouverneurs démocrates à « libérer » leur Etat, au mépris des avertissements de ses conseillers scientifiques.
L’expert en chef du gouvernement américain sur la pandémie, Anthony Fauci, a mis en garde contre l’apparition de nouveaux foyers de contagion incontrôlables et d’une « deuxième vague » de contamination si le déconfinement était précipité.
Pour le politologue Darrell West, la contestation émane « d’un groupe assez réduit de gens mécontents de perdre leurs libertés individuelles », dit-il à l’AFP.
« Ils voient le Covid-19 à travers leur lorgnette partisane » et « puisque M. Trump s’en prend aux experts, ils ont du mal à faire confiance aux scientifiques ».
Mais pour Josh Ellis, dire qu’une réouverture prématurée pourrait entraîner des morts inutiles revient à dire que « les Américains sont idiots et incapables » de s’occuper de leur santé.
« Notre société doit s’adapter à de nouvelles conditions et le confinement a en réalité retardé cela de plusieurs mois », explique-t-il.
Il organise d’ailleurs lundi de nouvelles manifestations.
LES PLAINTES LIÉES AU COVID-19 DÉFERLENT SUR LES TRIBUNAUX
Les applications de visioconférence ou de courses en ligne ne sont pas les seules à connaître une embellie à la faveur du nouveau coronavirus: aux Etats-Unis, la pandémie a aussi fait fleurir… les actions en justice.
Plus de 1.300 plaintes liées au Covid-19 ont déjà été déposées dans les tribunaux du pays, selon le cabinet d’avocats Hunton Andrews Kurth qui les recense chaque jour.
La pandémie « a divisé l’Amérique et généré de vastes enjeux politiques », souligne à l’AFP le professeur en droit de la Santé Lawrence Gostin: « Il y a des conflits entre la santé publique et les libertés de travailler, de manifester, de s’acheter une arme… »
Et comme « nous sommes une société très procédurière », poursuit-il, ces conflits aboutissent naturellement devant les juges.
Une « première vague » de contentieux est venue des prisons et des centres de rétention, détaille Torsten Kracht, associé du cabinet Hunton Andrews Kurth: des détenus ont réclamé une libération conditionnelle, arguant des mauvaises conditions sanitaires dans leur établissement ou de leurs propres problèmes de santé.
Certains, comme l’ancien directeur de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, ou son ex-avocat Michael Cohen, ont obtenu gain de cause.
D’autres se trouvent embarqués dans des luttes épiques: le gouvernement vient de demander à la Cour suprême des Etats-Unis d’empêcher la libération de plus de 800 détenus de la prison fédérale d’Elkton, ordonnée par un juge après la mort de neuf personnes.
Dans le même registre, plusieurs salariés ont porté plainte contre leur employeur pour le contraindre à mieux les protéger. Un syndicat d’infirmiers new-yorkais a ainsi saisi la justice pour obtenir des masques, des gants et autres équipements de protection.
Force majeure
Et si les mesures n’ont pas été prises à temps, des proches de victimes poursuivent pour « négligence », ici un employeur (le supermarché Walmart ou les abattoirs JBS notamment), là une maison de retraite.
Ces plaintes ont suscité une levée de boucliers législative: plusieurs Etats ont commencé à introduire des lois pour protéger les structures sanitaires et les républicains voudraient faire de même au Congrès pour mettre les entreprises à l’abri.
« La pandémie de Covid-19 aura certainement un effet sur les relations légales à l’avenir », souligne Torsten Kracht. Au-delà de ces évolutions législatives, « je pense que l’on verra la clause de force majeure des contrats civils inclure clairement le risque d’épidémie », dit-il.
Comme ce n’était pas le cas jusqu’ici, la seconde grande catégorie de contentieux est de nature financière.
Des clients qui n’ont pas pu assister à un spectacle ont lancé une action collective pour obtenir un remboursement auprès du site de réservations en ligne Ticketmaster. D’autres se battent pour récupérer des frais d’hôtel, d’avion, d’abonnement à une salle de gym…
Depuis début mai, les requêtes d’étudiants qui veulent se faire rembourser leurs énormes frais de scolarité se multiplient. Et des commerçants, obligés de rester portes closes, ont saisi la justice pour contester les mesures de confinement imposées par les autorités.
Des années de batailles
Les politiques se sont emparés de ce débat épineux : plusieurs élus républicains, emboîtant le pas à un Donald Trump soucieux de faire rapidement redémarrer le pays, ont contesté les ordres de confinement pris par les gouverneurs démocrates de leur Etat.
Et pour l’instant, la réponse des tribunaux est cacophonique: la Cour suprême du Wisconsin a ainsi jugé illégale la prolongation de l’arrêté de confinement des autorités de l’Etat, mais des juges ont validé une mesure similaire prise par la gouverneure du Michigan.
Les magistrats se sont également divisés sur d’autres sujets extrêmement clivants aux Etats-Unis: le droit des églises à maintenir les offices religieux et celui des cliniques spécialisées à pratiquer des avortements.
Avec la réouverture progressive du pays, une partie de ces litiges devraient être déclarés caducs.
Mais les tribunaux n’en auront pas fini pour autant avec le Covid-19. « On va continuer à voir des plaintes pendant toute la durée de la pandémie et probablement au-delà, surtout dans le domaine commercial où les entreprises n’ont pas encore identifié toutes leurs pertes », estime Torsten Kracht.
Et, pour lui, cela augure de batailles au long cours. « On va voir des affaires liées au Covid-19 dans les tribunaux pendant des années », prédit-il.
(avec Afp)