Maître Zeph ZABO, Doctorant en Droit, Avocat au Barreau de Kinshasa.
Maître Zeph ZABO, Doctorant en Droit, Avocat au Barreau de Kinshasa.

RDC : Kamerhe pris à son propre piège ou victime d’un guet-apens ?

Poursuivi pour détournement de deniers publics, corruption, enrichissement illicite et blanchiment d’argent en rapport avec la gestion de plus ou moins 50 millions de dollars américains du programme d’urgence dit « des 100 premiers jours » du président Félix Tshisekedi lancé depuis le 2 mars 2019, Vital Kamerhe, en détention depuis le 9 avril 2020, a étonnamment et arrogamment répondu notamment comme suit à une série de questions lui posées par le juge lors de l’ouverture de son procès le 11 mai 2020 : « je suis directeur de cabinet du président de la République, chef de l’État. On devait exécuter le programme du chef de l’État. Ce qui est déjà une situation inédite. Puisque, d’habitude, le programme c’est celui du premier ministre; il fallait commencer par-là [par préciser cela]! Mais parce que nous avions un premier ministre issu d’une assemblée [nationale] qui venait d’être balayée par une nouvelle assemblée [nationale] et nous n’avions pas un premier ministre, donc, le président de la République devait se croiser les doigts pendant sept mois et ne rien faire? Donc je suis intervenu au nom du président de la République, pour que ces travaux se fassent et que nous puissions répondre aux besoins pressants du peuple congolais dans les secteurs de l’éducation, de la santé, des routes, […] ». Ce faisant, il s’est défini par ailleurs comme « un intellectuel » et a ajouté qu’il sait que « tout peut arriver ».

Surprenant tout de même, de la part d’un « intellectuel » de niveau et d’expérience de Kamerhe, de faire une telle déclaration alors que celle-ci dénote plutôt d’une méconnaissance et d’une violation sans vergogne de la constitution de la République, des lois et de toutes les règles élémentaires de fonctionnement des institutions (le président de la République et le gouvernement) qui incarnent le pouvoir exécutif dans un régime semi-présidentiel, notamment les pouvoirs dévolus au premier ministre chef du gouvernement par rapport au président de la République ainsi que les pouvoirs dévolus à un premier ministre et à son gouvernement démissionnaires.

L’ancien ministre de l’information et de la presse du gouvernement de transition de 2003 à 2006 devenu directeur de cabinet du président de la République F. Tshisekedi depuis janvier 2019 ignorait-il sincèrement les pouvoirs dévolus à un premier ministre et à son gouvernement démissionnaires de gérer et expédier les affaires courantes en attendant un nouveau gouvernement de plein exercice ou de plein pouvoir? Comment peut-il sérieusement dire que « nous n’avions pas un premier ministre » alors que Bruno Tshibala était encore premier ministre en fonction avec son gouvernement démissionnaire expédiant les affaires courantes depuis janvier 2019 en attendant la nomination et l’entrée en fonction du prochain gouvernement?

Tout porte à croire que Kamerhe savait pertinemment ce qu’il faisait ainsi que les pouvoirs exceptionnels, pour ne pas dire anticonstitutionnels et illégaux, dévolus au premier ministre et au gouvernement, qu’il voulait voir exercer par le président de la République ou obtenir impérativement du président de la République à cet effet, alors qu’il était simplement directeur de cabinet. Sa réponse susmentionnée est on ne peut plus révélatrice : « on devait exécuter le programme du chef de l’État. Ce qui est déjà une situation inédite. Puisque, d’habitude, le programme c’est celui du premier ministre ».

Serait-il plutôt ou en même temps victime d’un guet-apens de la part de son partenaire et colistier de la coalition électorale CACH (UDPS-UNC), le président F. Tshisekedi, ainsi que de ses détracteurs purs et durs de l’UDPS qui n’ont jamais accepté sa nomination comme directeur de cabinet de F. Tshisekedi depuis janvier 2019 ni accepté la possibilité pour lui de briguer la magistrature suprême en 2023 comme candidat de cette coalition électorale conformément à l’accord d’Addis-Abeba relatif à ladite coalition? Certaines indiscrétions au sein de l’UDPS, voire des sources proches de la présidence de la République, ne se gênaient pas de le répéter en substance depuis la nomination de Kamerhe comme directeur de cabinet en janvier 2019 : « Kamerhe aime trop l’argent, il veut l’argent et il est trop gourmand. Il veut très vite se refaire une santé financière vu qu’il n’avait plus rien, pour notamment pouvoir garder sa femme Hamida et préparer l’élection présidentielle de 2023. Kamerhe veut tout contrôler et tout avoir pour lui seul. Félix lui a confié le programme des 100 premiers jours. Félix n’est pas con, contrairement à ce que les détracteurs purs et durs de Kamerhe au sein de l’UDPS ainsi que d’autres gens pensent. Il sait tout ce que Kamerhe fait. Il l’observe. Il ne lui dit rien, mais il l’aura au tournant, au moment opportun ».

Depuis quand, dans quel monde, dans quel pays et en vertu de quels instruments et dispositions juridiques, un directeur de cabinet peut-il se voir attribuer par un président de la République les pouvoirs d’un premier ministre ou d’un gouvernement en lieu et place d’un premier ministre et d’un gouvernement démissionnaires encore en fonction ou d’un gouvernement de plein exercice ou de plein pouvoir non encore formé ni en installé?

Décidément, par la volonté imposée arbitrairement au peuple congolais par les régimes successifs au pouvoir jusqu’à ce jour, la RDC demeure encore jusqu’à ce jour une République bananière! En effet, comment dire de la RDC qu’elle est une République (‘‘res publica’’) digne de ce nom lorsqu’on considère par ailleurs la manière dont les ressources publiques du contribuable congolais destinées au financement du programme d’urgence concerné ont été gérées conséquemment? Une gestion caractérisée par :

i) la dilapidation et le détournement scandaleux et révoltants de deniers publics;
ii) le gré à gré imposé comme mode d’attribution de marché dans une opacité sans précédent en lieu et place du processus transparent et concurrentiel d’appel d’offres;
iii) la corruption et la concussion pour l’octroi des marchés gré à gré en violation des lois et règlements régissant la passation des marchés publics du gouvernement congolais;
iv) l’attribution des marchés publics essentiellement à des sociétés détenues par des étrangers (libanais, américains, turcs, etc.) au détriment des nationaux alors que le président F. Tshisekedi avait dès son investiture le 24 janvier 2019 déclaré que son intention était de faire plusieurs millionnaires (en dollars américains) congolais et congolaises durant son mandat à la présidence de la République;
v) le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale;
vi) la non-exécution jusqu’à ce jour (soit plus de 500 jours après alors qu’il s’agissait d’un programme d’urgence sur 100 jours) des engagements contractuels tels que notamment les fameux sauts-de-mouton (ces éléphants blancs qui ne constituent nullement de « besoins pressants du peuple congolais ») et les maisons préfabriquées;
vii) l’exacerbation de la circulation routière dans la ville de Kinshasa;
viii) la création des richesses et des emplois dans d’autres pays (la Turquie, la Chine, etc.) où sont importés les intrants et les maisons préfabriquées et exportés les fonds concernés;
ix) l’appauvrissement correspondant de notre propre pays et de nos propres populations.

Inconscience, immoralité et irresponsabilité publiques quand tu nous tiens! Pauvre peuple et pays victimes de nos dirigeants!

Qu’en est-il des responsabilités, surtout judiciaires (pénales et civiles), conséquentes à établir? À cet égard, relevons les réponses ci-après données au juge par Kamerhe : « Il s’agit du programme du président de la République! Ce programme n’est pas le fruit de monsieur Kamerhe! Il est avant tout élaboré et approuvé par le président de la République lui-même, avant sa mise en exécution. Mais c’est comme si aujourd’hui parler du Programme des 100 jours du président de la République est devenu assimilable à un crime, à un détournement [de deniers publics]. Je voudrais d’abord que cela sorte des têtes de gens qui nous suivent. Oui! Mais je n’en étais pas le seul superviseur! Il y avait toute une équipe de supervision et une équipe de coordination. Nous étions une équipe de supervision, neuf (9) au total. Il y avait monsieur Vital Kamerhe, directeur de cabinet, monsieur Kolongole, directeur de cabinet adjoint, monsieur Yav, ministre des finances, le gouverneur de la Banque centrale du Congo, monsieur le ministre du budget de l’époque, le représentant de la primature, etc. En plus de ces neuf (9), il y avait la coordination, assurée par monsieur Nicolas Kazadi, ambassadeur itinérant du Chef de l’État ».

Tel que révèle la journaliste française Sonia Rolley de RFI : « les proches de Vital Kamerhe rejettent l’idée qu’il s’agit là d’un début de lutte contre la corruption et dénoncent une justice aux ordres, enclenchée contre un futur rival aux élections de 2023. ‘‘Si c’est autre chose qu’un procès politique, on verrait Yav, Kangudia, Mutombo, Kazadi et même Félix Tshisekedi sur le banc des accusés. Ils sont tous responsables de cette gestion’’, pointe l’un d’eux ». (Sonia Rolley, RDC : Vital Kamerhe et les 50 millions de dollars de Samibo, article publié le 30 avril 2020, www.rfi.fr, consulté le 12 mai 2020).

Dommage! Tout en saluant vivement la tenue de ce procès, il convient en effet de déplorer le caractère sélectif de la justice en l’espèce, le caractère apparemment incomplet et bâclé de l’enquête et donc une certaine théâtralisation de la justice. Seule une justice réellement indépendante, la même pour tous, juste et équitable, non-sélective, non-discriminatoire et non-corrompue, administrée par des magistrats (juges et procureurs) de bonne moralité placés tous dans les conditions de travail requises, pourra élever la nation congolaise et faire de la RDC une République digne de ce nom en lieu et place du système d’enrichissement personnel outrancier et illicite à tous les niveaux dont les régimes successifs au pouvoir en ont fait jusqu’à ce jour.

Maître Zeph ZABO,
Doctorant en Droit, LL.M., LL.L., M.A.; Avocat au Barreau de Kinshasa; Auteur des livres Justice corrompue; Volume 1 – Connaître vos droits et savoir vous battre pour rétablir la justice; et Volume 2 – Les juges et nos droits : Zabo vs. Système judiciaire corrompu; E-mail : zabo.zeph@gmail.com

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