Après avoir longtemps menacé de traduire en justice Joseph Kabila, Sénateur à vie et ancien Président de la République, l’Evêque Pascal Mukuna est finalement passé à l’acte, en déposant formellement plainte contre lui au Parquet général près la Cour Constitutionnelle. Dix dossiers sont ciblés. Il a choisi cette juridiction parce que, selon l’article 164 de la Constitution, « la Cour Constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ». Evitant d’aller vite en besogne, le plaignant demande au Procureur général près cette haute Cour d’ouvrir une enquête sur tous les cas des violations des droits humains commis sous le régime de Joseph Kabila, et spécialement pour ceux relatifs aux massacres d’une centaine d’adeptes de Bundu Dia Kongo au Kongo Central en 2008, aux assassinats d’Armand Tungulu, Floribert Chebeya et Fidèle Bazana en 2010, des Kuluna à Kinshasa en 2014, des experts des Nations Unies Zaida Catalan et Michael Sharp en 2017 au Kasaï Central, des manifestants pacifiques pro-démocratie tels que Thérèse Kapangala en 2017 et Rossy Tshimanga en 2018, etc.
Pascal Mukuna tient aussi Joseph Kabila pour présumé responsable des fosses communes de Maluku et du Kasai Central (Phénomène Kamuina Nsapu) en 2016-2017. Il souhaiterait que le Parquet général près la Cour Constitutionnelle étende ses investigations jusqu’aux cas jusque-là non portés à la connaissance de l’opinion tant nationale qu’internationale.
En marge de cette plainte, une bataille juridique serait en passe d’être engagée entre « experts » congolais au sujet du statut de Joseph Kabila, Sénateur à vie jouissant d’une immunité totale couvrant tous les actes qu’il avait posés dans l’exercice de ses fonctions de Président de la République. La question de fond serait de savoir si la loi portant statut d’anciens Présidents de la République rend également ceux-ci « intouchables » pour des cas des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, réputés imprescriptibles et impersonnels, dans l’hypothèse où l’exploit judiciaire de Mukuna emprunterait pareille voie.
Le sujet est d’autant délicat qu’on lire à l’article 9 de la Loi portant statut d’anciens présidents de la République ce qui suit : «En matière des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, commis par tout ancien président de la République élu, les juridictions nationales ont priorité sur toute juridiction internationale ou étrangère.»
Il faudra sans doute pour la compréhension de tous, que la Cour Constitutionnelle réponde à Pascal Mukuna pour savoir si Joseph Kabila peut être poursuivi pénalement pour les 10 dossiers qu’il a portés à sa connaissance. Selon l’entendement de la CPI (Cour Pénale Internationale), par exemple, il n’y a pas d’immunité pour quiconque en matière de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
10 DOSSIERS A CHARGE DE L’ANCIEN CHEF DE L’ETAT DE LA RDC, JOSEPH KABILA KABANGE
Kinshasa, le 06 avril 2020
Evêque Pascal Mukuna
N°2 avenue Muvungu
Commune de Bandalungwa
KINSHASA
A Monsieur le Procureur Gééral Près la Cour Constitutionnelle De et à Kinshasa
Concerne : Dénonciation à l’encontre de l’ancien Président Joseph Kabila
Monsieur le Procureur Général,
Je me fais le devoir, en tant que citoyen congolais, de Vous saisir en rapport avec plusieurs cas de violation des droits humains survenus en République Démocratique du Congo, sous le règne de l’ancien Président Joseph et pour lesquels nous souhaiterions que votre office enquête pour poursuivre leurs auteurs, complices et commanditaires.
Il est clair qu’en tant que Président de l’époque et commandant suprême des forces armées et de la police, Monsieur Joseph Kabila, est la personne de premier plan qui doit répondre de toutes ces violations des droits humains survenus sous son règne.
A ce sujet, je me permets de solliciter que votre office puisse s’intéresser aux faits-ci-après :
- Les massacres des adeptes de Bundu dia Kongo dans le Kongo Central
Le gouvernement de Monsieur Joseph Kabila avait envoyé, entre février et mars 2008, plusieurs policiers de Kinshasa, au Kongo Central pour mettre fin aux troubles causés dans cette province par les adeptes de Bundu dia Kongo. A cette occasion, 100 personnes ont été tuées, 150 autres arrêtées et plusieurs bâtiments détruits par la Police Nationale Congolaise. L’utilisation disproportionnée des armes à feu, le nombre de personnes tuées et des biens détruits par la Police Nationale Congolaise permet de comprendre que le but des opérations de la Police nationale congolaise était d’exterminer les adeptes de Bundu dia Kongo. Le rapport de Human Rights Watch intitulé « On va vous écraser » donne plus des détails à ce sujet. Il est nécessaire aussi de lire le rapport de la Monusco relatif à ces massacres.
- Armand Tungulu Mudiadambu
Tué le 30 septembre 2010 par les militaires de la Garde Républicaine pour avoir jeté des projectiles contre le cortège du Président Kabila sur l’avenue du 24 novembre dans la commune de Lingwala.
- L’Assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana dans les locaux de la Police Nationale Congolaise
En 2010, Floribert Chebeya, Directeur Exécutif de la Voix des Sans Voix et son collègue Fidèle Bazana sont assassinés dans les locaux de la police nationale le 1 juin 2010, à cause de leur engagement sur certains dossiers relatifs aux violations des droits de l’homme par le régime de Monsieur Kabila.
- Les massacres des jeunes Kuluna à Kinshasa par la Police Nationale dans l’opération « Likofi »
En 2013, la Police Nationale Congolaise lance la campagne anti-criminalité à Kinshasa. La cible de cette campagne était les jeunes désoeuvrés de la ville de Kinshasa communément appelés « Les Kuluna ». A cette occasion, la Police nationale Congolaise avait exécuté sommairement 51 hommes et jeunes et 33 autres ont été soumis à la disparition forcée. Le rapport de Human Rights Watch intitulé « Opération Likofi » : meurtres et disparitions forcées aux mains de la Police » décrit le déroulement des opérations et le mode d’exécution des victimes.
- Les fosses communes de Maluku
En mars 2015, 421 corps ont été découverts par des villageois dans une fosse commune à Maluku près de Kinshasa, en bordure d’un cimetière existant. Le gouvernement avait déclaré que les morts appartenaient à des familles pauvres qui ne pouvaient pas payer les funérailles. Il se dégage clairement que ce sont les corps des personnes tuées par les forces de Monsieur Kabila lors des manifestations organisées contre son régime.
- Les massacres de Mwanza Lomba dans le Kasaï
En 2017, en opérations dans le Kasaï contre les adeptes de Kamwena Nsapu, les militaires des FARC ont tiré et tué plusieurs personnes non armées dont les femmes et les enfants dans le village de Mwamza Lomba.
- Massacres et fosses communes dans le Kasaï
Entre décembre 2016 et mars 2017, les FARDC en opération contre les miliciens de Kamwena Nsapu ont exécuté sommairement plus de 129 personnes dont certaines ne portaient pas d’armes. Dans la même province, plus de 42 fosses communes ont été découvertes.
- Assassinat de deux experts des Nations Unies dans le Kasaï
En 2017, Michael Sharp et Zaida Catalan, deux experts des Nations Unies, sont assassinés dans le Kasaï avec la complicité de certains agents de l’Etat, alors qu’ils enquêtaient sur les massacres des miliciens de Kamwena Nsapu.
- Assassinat des manifestants et incendie des sièges des partis politiques
En septembre 2016, lors de manifestations organisées par les partis politiques de l’opposition à Kinshasa, les forces de défense et de sécurité envoyées pour empêcher lesdites manifestations ont tué 50 personnes. A cette occasion, les sièges des partis politiques de l’opposition UDPS, MLP et FONUS ont été incendiés et plusieurs personnes qui y étaient ont été tuées.
- L’assassinat de plusieurs personnes lors des manifestations organisées par le Comité Laïc de Coordination
Lors de manifestations organisées par le CLC pour contraindre Monsieur Kabila à organiser les élections ou à partir, plusieurs personnes ont été assassinées par les militaires envoyés par le régime de Kabila. Il y a lieu de mentionner les cas de Rossy Mukendi et Thérèse Kapangala.
Monsieur le Procureur Général,
Les cas de violation des droits de l’homme ci-dessus survenus sous le régime de Monsieur Kabila sont indiqués à titre illustratif. Il est possible de trouver plus de crimes que ceux mentionnés sur cette liste.
Dans certains de ces dossiers, des simulacres des procès ont été organisés avec le souci non pas de rendre justice, mais de protéger les personnages clés du régime qui étaient impliqués. Ce qui veut dire pour moi qu’il n’y a jamais eu procès au sens de la constitution et des normes internationales relatives au procès juste et équitable. Alors que d’autres dossiers n’ont jamais connu un procès.
En plus, en tant que Président du pays et commandant suprême des Forces armées et défense et de sécurité, je pense que Monsieur Kabila devrait être au courant de tout ce qui s’est passé et doit avoir donné son accord à la commission de tous ces crimes. Fort malheureusement, il n’a jamais été entendu ni inquiété par la justice.
Maintenant qu’il n’est plus au pouvoir, je pense que Monsieur Kabila devrait être entendu par votre office et poursuivi pour son implication directe ou indirecte dans la commission des crimes décrits ci-dessus.
Je dénonce tous ces crimes auprès de votre office pour qu’une enquête soit ouverte et que Monsieur Kabila réponde de ces crimes survenus sous son régime.
Les crimes dénoncés ci-dessous mettent en cause la responsabilité de Monsieur Kabila conformément à l’article 164 qui traite des infractions politiques de haute trahison.
Veuillez croire, Monsieur le Procureur Général, en l’expression de mes sentiments patriotiques.
Evêque Pascal Mukuna