Après plusieurs pays européens, la France se prépare à son tour à un déconfinement prudent, à compter de lundi mais avec de strictes restrictions dans et autour de Paris, toujours une « zone rouge » de la pandémie du nouveau coronavirus, dont les effets dévastateurs sur les économies s’accumulent à l’échelle planétaire.
« La levée progressive du confinement peut être engagée ce lundi 11 mai », au vu de la situation sanitaire, a confirmé jeudi le Premier ministre français Edouard Philippe en présentant le plan du gouvernement.
Comptant près de 26.000 morts du Covid-19, la France est néanmoins « coupée en deux » entre départements « verts » et « rouges », où la circulation du virus est plus active, avec une plus grande pression sur le système hospitalier.
Toujours pas de collège
Dans cette zone « rouge », qui inclut toute l’agglomération parisienne et la partie nord-est du territoire français, de nombreuses restrictions resteront en vigueur: pas d’ouverture des collèges ni des parcs et jardins, strictes mesures de distanciation dans les transports notamment.
La France « est prête pour tester massivement », à raison de 700.000 tests par semaine, les personnes présentant des symptômes, a assuré le ministre de la Santé Olivier Véran. L’incapacité des autorités à mener ces mêmes tests, ainsi que le manque de masques, avaient alimenté ces dernières semaines les critiques contre l’exécutif.
Concernant les frontières, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a souligné que leur fermeture restait « la règle ». Les restrictions aux frontières avec les pays de l’espace européen (Union européenne, Schengen, Royaume-Uni) seront « prolongées jusqu’au 15 juin au moins » et les frontières avec les pays non-européens « resteront fermées jusqu’à nouvel ordre », a-t-il déclaré.
La France, deuxième économie européenne, emboîte ainsi le pas aux pays d’Europe déjà engagés dans le déconfinement, Allemagne en tête.
A ce jour, la pandémie a tué 263.573 personnes dans le monde, dont plus de 150.000 personnes en Europe: les trois quarts au Royaume-Uni (30.076), en Italie (29.684), en Espagne (26.070) et en France (25.809), selon un dernier bilan établi jeudi par l’AFP à partir des chiffres de sources officielles, très vraisemblablement sous-estimés.
Fort de chiffres d’infection « très satisfaisants », Berlin a décidé mercredi de lever la quasi-totalité des restrictions imposées depuis la mi-mars. Symbole de cette réouverture, la Bundesliga, interrompue il y a deux mois alors que le coronavirus mettait le sport international au repos forcé, reprendra dès la mi-mai à huis-clos.
Comme en France cependant, les frontières restent fermées, et les grandes manifestations sportives, festives ou culturelles interdites.
En Norvège, pays qui a adopté un régime de semi-confinement à la mi-mars, les écoles pourront rouvrir à compter de lundi et les bars à partir du 1er juin. L’objectif est de rouvrir pour le 15 juin « la plupart des choses qui étaient fermées », selon la Première ministre norvégienne, Erna Solberg.
Messe sans eau bénite
Très durement touchée et engagée dans un déconfinement prudent, l’Italie va tester 150.000 habitants de la région de Rome.
L’Eglise et le gouvernement italiens ont par ailleurs convenu de permettre aux catholiques de renouer avec leurs églises à partir du 18 mai: les fidèles pourront de nouveau assister à la messe et aux autres cérémonies religieuses, mais à condition d’avoir un masque, d’être bien espacés et de se passer d’eau bénite.
Au Royaume-Uni, le confinement doit être prolongé jeudi mais le premier ministre Boris Johnson, lui même rescapé du Covid-19, doit annoncer dimanche l’assouplissement de certaines restrictions.
Le carnaval du quartier de Notting Hill à Londres, connu pour ses costumes multicolores et danses endiablées, et qui rassemble chaque année des centaines de milliers de personnes fin août, a été annulé.
La Suède, qui a pris des mesures plus souples que la plupart des autres pays européens, a officiellement dépassé le seuil des 3.000 morts. Selon les autorités sanitaires, le pays a « réussi jusqu’à présent à maintenir la maladie sous le seuil de ce que les services de santé peuvent gérer ».
En Grèce, l’Acropole d’Athènes, monument phare de l’Antiquité attirant chaque année des millions de visiteurs, rouvrira le 18 mai avant la réouverture des musées le 15 juin, ainsi que tous les sites archéologiques du pays, mais avec des mesures de distanciation.
La Belgique rouvrira lundi des commerces non essentiels. A l’inverse, la ville de Moscou a annoncé jeudi le port obligatoire du masque dans les transports, et une prolongation de son confinement jusqu’au 31 mai, alors que la Russie, longtemps épargnée, connaît une forte hausse du nombre de cas détectés.
Au plan économique, les nouvelles désastreuses continuent: comme beaucoup d’autres puissances, le Royaume-Uni voit son économie se contracter dans des proportions inouïes, avec une récession de 14% prévue cette année par la Banque d’Angleterre.
Aux Etats-Unis, pays aujourd’hui le plus touché avec plus de 73.000 morts, plus de 3,1 millions de nouveaux chômeurs ont été dénombrés en une semaine, portant le total à 33,5 millions depuis le début de cette pandémie. « C’est pire que Pearl Harbor », a estimé mercredi soir Donald Trump.
Un militaire travaillant à la Maison Blanche a contracté le nouveau coronavirus, a indiqué jeudi l’exécutif américain, précisant que le président et son vice-président Mike Pence « ont depuis été testés négatifs au virus et restent en bonne santé ».
OMS contre Covid-Organic
« Les effets les plus dévastateurs et déstabilisateurs (du virus) se feront sentir dans les pays les plus pauvres », a rappelé jeudi l’ONU, mettant en garde contre une « augmentation significative des conflits, de la faim et de la pauvreté ».
Autre corollaire du confinement: les signalements de violences conjugales ont augmenté de jusqu’à 60% en Europe, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Les effets les plus dévastateurs et déstabilisateurs (du virus) se feront sentir dans les pays les plus pauvres », a rappelé jeudi l’ONU, mettant en garde contre une « augmentation significative des conflits, de la faim et de la pauvreté ».
Autre corollaire du confinement: les signalements de violences conjugales ont augmenté de jusqu’à 60% en Europe, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Après les USA, le Japon est devenu le deuxième pays à autoriser le médicament américain remdesivir pour traiter le Covid-19. Ce médicament, qui aide au rétablissement des malades, à défaut de faire baisser la mortalité, avait obtenu la semaine dernière une autorisation en urgence de l’agence américaine du médicament (FDA).
L’OMS a rappelé à l’ordre jeudi les dirigeants africains contre la tentation de promouvoir sans tests scientifiques la potion présentée par le président malgache Andry Rajoelina comme un remède contre le coronavirus, et livrée dans plusieurs pays du continent.
Les éventuels effets de cette tisane, baptisé Covid-Organic et à base d’artemisia, une plante à l’effet thérapeutique reconnu contre le paludisme, n’ont été validés par aucune étude scientifique, a souligné la responsable de l’OMS pour l’Afrique, le Dr Matshidiso Moeti, exhortant le gouvernement malgache à « faire tester (son) produit lors d’essais cliniques ».
Sur le traçage des patients du Covid, toutes les applications de suivi lancées dans le monde présentent des failles de sécurité « plus ou moins critiques », s’alarme une étude publiée jeudi de l’expert en sécurité mobile Pradeo.
Plus de la moitié de ces trente applications gouvernementales ou soutenues par des organismes publics portent atteinte à la vie privée et 3 en particulier sont « clairement problèmatiques », à la fois sur la sécurité et sur la confidentialité: celles de la Turquie (koronaonlem.saglik.gov.tr), du Royaume-Uni (covid.joinzoe.com) et des Etats-Unis (howwefeel.org).
LA FRANCE COUPÉE EN DEUX
Edouard Philippe a confirmé jeudi que le déconfinement commencerait lundi 11 mai, mais qu’il sera « progressif » et assorti de nombreuses restrictions et invitations à la prudence, dans une France « coupée en deux » entre départements classés en vert ou en rouge.
« La levée progressive du confinement peut être engagée ce lundi 11 mai », au vu de la situation sanitaire, a d’emblée annoncé le Premier ministre depuis l’hôtel de Matignon, après presque deux mois de verrouillage complet du pays.
Il a cependant averti que la France était « coupée en deux » selon les situations sanitaires entre départements « verts » et « rouges », et a appelé au maintien strict des gestes de protection car « nous ne pouvons faire le malin avec le virus ». Un nouveau point d’étape sera d’ailleurs effectué le 2 juin, afin de « passer à une nouvelle phase » du déconfinement ou, en cas de « mauvais résultats », « en tirer les conséquences ».
Pour l’heure, les quatre régions du quart nord-est –Hauts de France, Ile-de-France, Grand Est et Bourgogne Franche-Comté– ainsi que Mayotte présentent ainsi des indicateurs inquiétants, soit en raison d’une circulation encore active du virus, soit en raison de « tension » sur les capacités hospitalières.
Cela concerne notamment les 12 millions d’habitants de l’Ile-de-France, où le nombre de cas « reste plus élevé qu’espéré ».
Dans ces départements rouges, « le déconfinement est possible » à partir du 11 mai mais « avec certaines restrictions: pas d’ouverture des collèges, ni des parcs et jardins », a ajouté le chef du gouvernement. Un retour en classe pour les élèves de 6e et 5e est envisagé en revanche à compter du 18 mai dans les départements classés « vert ».
M. Philippe et les ministres l’entourant ont multiplié les mises en garde afin d’éviter une résurgence des contaminations, illustrant ainsi le cheminement du pays « sur une ligne de crête », dixit le Premier ministre. « Le déconfinement progressif ne doit pas être la marque d’une baisse de notre vigilance », a insisté le chef du gouvernement, en invoquant l’esprit de « responsabilité » des Français.
Les Ehpad restent confinés
« Il n’y aura pas de confinement obligatoire pour les personnes vulnérables après le 11 mai », a ainsi déclaré Edouard Philippe. Mais il a demandé aux personnes « âgées ou malades de pathologies comme l’obésité, le diabète » ou souffrant « d’insuffisance respiratoire » de « conserver dans toute la mesure du possible des règles de prudence très strictes », comme « celles des deux derniers mois ».
Et il n’y aura pas de déconfinement dans les Ehpad le 11 mai, a précisé le ministre de la Santé Olivier Véran.
Le point d’attention principal concerne le retour à l’école: un million d’élèves des maternelles et jusqu’au CM2 seront accueillis dès la semaine prochaine par quelque 130.000 professeurs, a annoncé le ministre Jean-Michel Blanquer.
En parallèle, environ 400.000 entreprises vont rouvrir lundi, représentant 875.000 salariés, a indiqué le ministre Bruno Le Maire. Et les centres commerciaux de plus de 40.000 m² pourront rouvrir, sauf en Ile-de-France.
Cette reprise de l’activité impliquera des mesures dans les transports: la ministre Elisabeth Borne a confirmé que le port du masque serait obligatoire pour les passagers à partir de 11 ans, sous peine d’une d’une amende de 135 euros. En Ile-de-France, l’accès aux transports en commun sera par ailleurs « réservé aux heures de pointe au personnes détenant une attestation de leur employeur ou ayant un motif impérieux pour se déplacer », a-t-elle ajouté.
Une nouvelle attestation sera par ailleurs nécessaire pour les déplacements de plus de 100 km, a indiqué le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Des restrictions aux frontières avec les pays européens seront toujours en cours « jusqu’au 15 juin au moins », a-t-il ajouté, précisant que la fermeture était maintenue avec les autres pays.
Enfin, les plages et les lacs seront rendus accessibles au cas par cas, sur décision des préfets.
LA RÉSILIENCE DES RÉFUGIÉS SYRIENS EN FRANCE FACE AU CORONAVIRUS
Ce n’est pas la première catastrophe qu’ils doivent surmonter. Pour certains réfugiés syriens en France, les expériences douloureuses de la violence dans leur pays en guerre, puis de l’exil, permettent de faire face à l’anxiété créée par le nouveau coronavirus.
L’AFP a rencontré et interviewé quatre Syriens réfugiés en France.
Le réalisateur
Mohammad Hijazi, un réalisateur de 31 ans de Damas, a passé trois mois dans les prisons du régime entre 2012 et 2013, en raison de ses opinions politiques. Il vit à Paris depuis 2017.
Dès que la France a débuté son confinement en mars, plusieurs enseignements qu’il a tirés de ses jours les plus sombres se sont rappelés à son souvenir.
« Les personnes qui ont vécu ce genre d’expériences sont entraînées à conserver le sens des perspectives », suggère Hijazi, lors d’un entretien par vidéo.
« Nous avons immédiatement réactivé les réflexes que nous avons dû mettre en place dans le passé pour gérer les crises » ajoute-t-il.
Par exemple, « nous savons ce que nous devons mettre de côté » confie-t-il, ajoutant que son passage en prison lui a appris l’importance de conserver certaines routines.
Comme pour beaucoup de migrants, les premiers mois qu’il a passés en France ont été synonymes de grande solitude. Un sentiment qu’il a retrouvé depuis le début du confinement.
Tous ses tournages étant à l’arrêt, il a décidé d’utiliser ses outils de travail pour lancer une radio en ligne. Il l’a nommée « Maazoul », « isolé » en arabe.
Grâce à ce projet, il conserve un lien avec ses collègues à l’étranger et les auditeurs.
Le webdéveloppeur
Yazan al-Homsy, développeur de sites internet et analyste de données, a survécu aux bombardements et au siège de Homs pendant plus d’un an. La pandémie l’a ramené à cette période terrifiante.
M. Al Homsy habite près d’un aéroport à Lyon (centre-est). Alors qu’il n’était pas dérangé par leur bruit jusqu’à présent, pendant les quelques jours où les avions ont continué à décoller et atterrir avant d’être cloués au sol, il a été hanté par l’image des engins de guerre traversant le ciel syrien.
« Un jour je me suis réveillé en me demandant où j’étais ! J’étais totalement perdu et n’ai pas pu sortir de chez moi pendant toute une semaine, » témoigne Homsy, qui préfère utiliser un pseudonyme pour la sécurité de sa famille restée en Syrie.
Il est d’ailleurs très angoissé pour ses parents âgés, qui n’ont pas accès à un « véritable système de santé ».
Selon lui, le meilleur conseil à donner à ses amis français angoissés, c’est de se souvenir que « leur gouvernement agit pour leur sécurité » et qu’ils « ont des droits ».
Mère, employée et doctorante
Dunia al-Dahhan, 40 ans, est la mère de deux jeunes enfants. Venue de Damas, elle vit à Paris depuis 2014. En ces temps troublés, elle est rassurée de vivre dans une démocratie.
« Ici, il y a un système, un Etat, et il y a des personnes qui expriment leurs opinions », dit-elle. Elle cite l’exemple d’un médecin français qui a accusé les autorités d’impréparation dans la gestion de la pandémie.
Dahhan mène de front un travail à plein temps ainsi que ses études de doctorat. Elle travaille pour l’association « Portes ouvertes sur l’art » qui aide les artistes exilés. Elle aussi a fait son introspection lors des dernières semaines.
« Ce qui m’a le plus terrifiée, ce sont les informations sur les morts, et le nombre de morts. Ce choc m’a fait me demander: pourrions-nous supporter d’entendre égrainer le nombre de personnes tuées en Syrie ? » ajoute-t-elle.
Depuis le début de la guerre en Syrie, il y a neuf ans, plus de 380,000 personnes sont mortes.
Le conflit a ébranlé une grande partie des infrastructures du régime, son système de santé, et a mis plus de cinq millions de personnes sur les routes de l’exil.
Le chef-cuisinier
Les conséquences de la pandémie sur l’économie affectent les entreprises créées par les réfugiés, à l’instar de celle d’Emad Shoshara, un cuisinier de Damas arrivé à Paris en 2015.
Autrefois il dirigeait son entreprise de transports, mais il a dû se reconvertir lorsqu’il a fui son pays.
Depuis qu’il vit en France, il met à profit son talent pour la cuisine syrienne et a développé une clientèle d’organisateurs de mariage, de théâtres et de galeries, tous fidèles à ses services de traiteur. Mais depuis mars, il reçoit annulation sur annulation pour le printemps et l’été, deux saisons importantes pour lui.
Pourtant il refuse de se laisser aller à la tristesse. Justement parce que, selon lui, il sait ce que cela signifie de repartir de zéro.
« En dialecte syrien on a l’habitude de dire : ‘A chaque fois que tu tombes, tu te relèves à nouveau’ « , précise-t-il, tout en préparant un plat de poulpe spécial confinement.
Désormais, Shoshara passe son temps à filmer des recettes en direct qu’il poste sur Instagram. Les gastronomes y retrouvent un plat végétarien à l’aubergine et une version couleur betterave du hoummous, la star de la cuisine de la Méditerranée orientale.
Il espère que celà permettra à ses abonnés de garder le moral malgré les difficultés sans précédent qu’ils traversent. »(Avoir des problèmes) n’est pas une raison pour baisser les bras », dit-il. « N’oubliez pas que vous êtes sur la route de la vie, semée d’obstacles. Peut-être que vous allez surmonter tel obstacle et chuter devant tel autre. Mais quoiqu’il advienne, allez de l’avant ! »
(avec Afp)