D’après Jacques Chevalier, l’État de droit est une définition juridique de la démocratie, et la démocratie comme une définition politique de l’Etat de droit. De ce point de vue, on peut être tenté de croire, que quand on parle d’un Etat de droit, il s’agit nécessairement d’une démocratie ! Or, s’il est vrai que toute démocratie est un Etat de droit, mais tout Etat de droit n’est pas nécessairement une démocratie (M.A Cohendet). Comment peut-on comprendre cela ?
Tout État comme un État de droit, mais pas nécessairement une démocratie : Tous les États du monde ont une Constitution, qui est à la fois un symbole avant d’être une loi, une philosophie politique de l’histoire et de l’avenir d’un peuple, et un acte solennel soumettant le pouvoir étatique à des règles limitant sa liberté pour le choix des gouvernants, l’organisation et le fonctionnement des institutions, ainsi que des relations avec les citoyens(B. Mathieu).
Dans cette optique, se donner une Constitution, c’est admettre de limiter le pouvoir, les gouvernants et gouvernés acceptent de lui fixer les bornes, passant ainsi, d’un pouvoir arbitraire, auquel tout est permis, à un pouvoir encadré par le droit (institutionnalisé), que l’on appelle généralement un Etat de droit (c’est-à-dire un Etat qui accepte d’être limité par le droit et de le respecter). Un Etat dans lequel, les dirigeants n’exercent pas un pouvoir propre, mais une compétence, en ayant individuellement ou en collège, la qualité d’organes de l’Etat et leurs actes considérés comme ayant été accomplis par l’Etat, et sont même attribués à l’Etat (M. TROPER).
De ce point de vue, tout État peut être considéré comme un Etat de droit, car ayant une Constitution, cadre par excellence de toute limitation du pouvoir.
Mais, le simple fait qu’un État se reconnaisse comme soumis au droit, aux règles qu’il édicte, n’est pas à lui seul une garantie absolue de protection pour les citoyens, il faut chaque fois vérifier de quel droit il s’agit, car l’État de droit est une expression équivoque, c’est-à-dire qu’il existe deux conceptions distinctes de l’État de droit (formelle et matérielle).
Dans son acception formelle, l’État de droit se conçoit comme la structuration juridique de l’État, c’est-à-dire que selon cette conception, on se borne seulement à assurer le respect de la hiérarchie des normes juridiques, quel que soit leur contenu. On se réfère seulement à l’aspect formel de la question, en regardant uniquement si l’État est organisé par des règles de droit, sans se soucier du contenu de ces règles. Un tel État de droit, ne peut pas être considéré comme un État de droit démocratique.
Un État de droit démocratique : toute démocratie est un État de droit
Dans sa conception matérielle, l’État de droit n’est pas seulement un État qui est structuré juridiquement ou qui est fondé sur le droit, mais dans lequel l’État est soumis à des règles de droit qui limitent son pouvoir et garantissent le respect des droits de l’homme, en particulier au moyen de recours juridictionnels. C’est une conception qui intègre des procédés démocratiques.
La prise en compte de cette conception matérielle de l’État de droit, conduit à l’affirmation selon laquelle, le droit n’est plus seulement légitime parce qu’il est conforme aux buts et aux principes fixés dans la Constitution, buts qui sont souvent adaptés aux évolutions sociales par le juge, indépendamment de toute intervention directe et indirecte du Peuple.
D’où l’impérieuse nécessité de l’indépendance de toute juridiction chargée de contrôle de constitutionnalité, qui ne se réduit pas au seul mode de désignation de ses membres, ni à leur statut, mais dépend aussi de l’organisation et du fonctionnement de ladite juridiction (J.-L ESAMBO).
Ainsi, comme l’affirmait Hans Kelsen, si en théorie tout Etat est par hypothèse un Etat de droit, en réalité, cette expression est utilisée pour désigner un Etat qui vise à assurer la démocratie et la stabilité juridique, par la responsabilité des membres du Gouvernement, la soumission aux lois des juridictions et de l’administration, l’indépendance des tribunaux et la garantie des droits aux citoyens.
De ce point de vue, la conception matérielle de l’Etat de droit suppose non seulement une inscription des droits fondamentaux dans la Constitution, et la séparation des pouvoirs, mais encore la garantie de la suprématie de la Constitution par un contrôle juridictionnel apte à imposer cette primauté au législateur lui-même.
C’est dire que dans un tel Etat, non seulement que la loi est la même pour tous, et qu’elle s’impose de la même manière aux gouvernants et aux gouvernés, mais aussi les droits fondamentaux y sont garantis et scrupuleusement respectés.
C’est pourquoi, s’il est vrai qu’il existe une réelle complémentarité entre la conception formelle et matérielle de l’Etat de droit, il est en même temps vrai, que la conception matérielle inclut l’acception formelle tout en la dépassant (A. KITETE). Ainsi, tout Etat qui n’a pas cette conception matérielle de l’Etat de droit, ne peut être considéré comme une démocratie !
De ce point de vue, une Constitution doit être librement voulue, élaborée par les Citoyens ou leurs représentants, ceux-ci fixent les règles de la vie en commun qui s’imposent à tous, les droits fondamentaux et toutes les garanties de respect, et les principes d’organisation du pouvoir. Elle est ainsi, une charte fondamentale de la Nation qui s’impose aux citoyens comme aux organes du pouvoir.
D’aucuns peuvent légitimement s’interroger sur le sort des Etats qui ne disposent pas d’une Constitution écrite, mais simplement une Constitution coutumière.
On notera utilement, que de nos jours, il n’existe plus que quelques Constitutions coutumières, la plus célèbre est celle de la Grande Bretagne, on peut aussi citer celle de l’Arabie Saoudite, mais ces Constitutions coutumières ne sont pas à l’état pur, car dans ces pays, il existe un certain nombre de textes écrits qui régissent tel ou tel aspect de l’organisation et du fonctionnement des institutions.
Ces textes garantissant les droits et les libertés fondamentaux, et même leur protection, se sont d’ailleurs multipliés en Grande Bretagne, un Etat de droit dont le caractère démocratique ne souffre d’aucun doute (les droits et les libertés fondamentaux garantis et respectés, le fonctionnement rationnel des institutions, le respect de la loi par tous et l’existence d’un véritable contrôle de constitutionnalité).
Sans contester ces Constitutions non écrites, il est toutefois important de noter, qu’une Constitution coutumière n’est pas réfléchie, elle n’est pas choisie, elle n’est pas la mise en œuvre d’un système rationnel dont on a pesé les avantages et les incontinents. Elle se crée au jour le jour, morceaux par morceaux (règles après règles au gré des circonstances).
De ce point de vue, bien qu’elle présente l’intérêt d’être en harmonie avec la société qui l’a secrétée, qu’elle n’est pas artificielle, mais le fruit d’une expérience, se modèle sur l’évolution de la vie nationale, et est toujours respectée spontanément, la Constitution coutumière a aussi cette faiblesse d’être imprécise, souvent difficile à discerner et laisse sans solution beaucoup de cas imprévus. C’est dire, que ce type de Constitution paraît comme inadapté à l’Etat démocratique moderne et aux changements ou évolutions qui caractérisent fondamentalement toutes les sociétés contemporaines.
Notons cependant, que la démocratie comme un régime idéal ne fonctionne nulle part conformément aux modèles échafaudés par les théoriciens, qui imaginent des hommes naturellement vertueux, capables de se gouverner pour le bien à tous.
Ainsi, tout ce qui nous parait naturel aujourd’hui dans les démocraties dites stabilisées et apaisées (en Occident), notamment une vie politique organisée, les lois qui s’imposent aux gouvernants et gouvernés , une participation des citoyens au pouvoir, des partis politiques, une justice indépendante et non sélective , un pouvoir limité etc.., doit être considéré comme le produit d’une recherche tâtonnante sur les Gouvernements des hommes, où une histoire indécise ne pouvait avec précision savoir très bien où elle allait et ne comprenait pas avec précision ce qu’elle faisait ( B. Mathieu).
De ce point de vue, la démocratie reste et demeurera toujours et partout, un combat continu, une question de volonté politique et une vision d’un Peuple…
(Martin MULUMBA – Docteur en Droit Public, spécialité Droit constitutionnel de l’Université Paris1 Panthéon-Sorbonne)